L’eurodéputé Nicolas Bay, à Jérusalem, le 26 janvier 2017. | THOMAS COEX / AFP

Depuis des années, le Front national (FN) affiche sa volonté de se soustraire aux accusations d’antisémitisme. Ce chemin escarpé passe par Israël. C’est là que s’est rendu, du 23 au 26 janvier, le secrétaire général du FN, Nicolas Bay. Le député européen a donné de l’écho à cette visite surprise grâce à Twitter, en publiant les photos de ses rencontres. Mais entre les légendes de ces photos et la réalité, l’écart semble considérable. Les représentants officiels que Nicolas Bay se félicite d’avoir vus affirment ne pas savoir pas qui il était avant de se retrouver face à lui.

Le député européen a publié un cliché d’un repas « convivial » avec, entre autres, Arnon Afek, directeur général adjoint du ministère de la santé. Professeur à l’université de Tel-Aviv, ce dernier explique au Monde que le dîner, organisé le 23 janvier à Tel-Aviv, se passait à l’initiative d’un professeur de médecine israélo-italien, préparant un colloque à Milan dans deux mois. « Je ne savais pas qui serait là, on m’a demandé de parler du système de santé israélien, dit Arnon Afek, catastrophé. C’était un rendez-vous non officiel, je ne portais même pas de cravate. Quand Bay m’a donné sa carte, j’ai dit clairement que je ne faisais pas de rencontres politiques. Je respecte tout le monde, j’ai répondu aux questions sur la santé. »

Sur cette photo de Nicolas Bay apparaît aussi un haut gradé de l’armée, en uniforme : le commandant médical du commandement du front intérieur, le colonel Eyal Furman. Sollicité par Le Monde, Peter Lerner, porte-parole des forces armées, s’est entretenu avec le colonel Eyal Furman. « Il est arrivé à ce dîner quand il avait déjà commencé et il n’était pas informé de la présence d’un politicien français. Il a ensuite quitté poliment les lieux quand il l’a appris et a informé son commandement. » En fin de journée jeudi, Nicolas Bay a supprimé la photo du dîner sur son compte Twitter. « Il était gêné d’apparaître car il était en uniforme », explique-t-on au sein du FN.

La photo du repas de Nicolas Bay (FN) avec un gradé israélien et le directeur adjoint du ministère de la santé, publié sur son compte Twitter puis effacée | compte Twitter de Nicolas Bay

« Le ministre ne savait pas qui [Nicolas Bay] était »

Mais peu après, le site d’Europe 1 annonçait que le député européen avait rencontré en grand secret le ministre de la santé, l’ultraorthodoxe Yaakov Litzman, avec l’autorisation de Benyamin Nétanyahou. Une annonce stupéfiante, qui aurait signifié une rupture radicale de la ligne des autorités par rapport à la formation d’extrême droite. « Le premier ministre n’était au courant d’aucune rencontre avec le Front national », affirme pourtant une source officielle. Au ministère de la santé, le porte-parole Eyal Basson confirme une rencontre fortuite, mais « le ministre ne savait pas qui [Nicolas Bay] était. C’est le même docteur italien qui avait arrangé le rendez-vous avec le directeur adjoint qui est intervenu. » Ce docteur chercherait à développer les services d’urgence en Italie. Impossible de comprendre comment Nicolas Bay a intégré sa délégation. Une autre source au ministère confirme : « Dès que le ministre a découvert une connexion politique, il a recommandé à la personne de contacter le ministère des affaires étrangères israélien puis il est sorti de la pièce. » Des déclarations que l’on tient à relativiser au sein du FN. « Qu’ils reculent un peu, c’est le truc habituel. Ils savaient pourquoi Nicolas Bay était là, quel était le message du FN », assure-t-on, précisant que le déplacement se préparait depuis « plusieurs semaines ».

Le représentant du parti lepéniste s’est aussi fait photographier avec deux membres du Likoud, la formation du premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Le premier est David Ish-Shalom, qu’il présente comme un « membre du comité central ». Au parti, on explique que le comité compte près de 3 700 personnes. David Ish-Shalom est donc un obscur délégué du Likoud. Le second membre rencontré est David Shayan, qui dirige le mouvement des jeunes. Contacté par Le Monde, ce dernier s’est montré embarrassé. Il a choisi de répondre par un SMS, en français, langue qu’il ne parle pas. « La rencontre avec M. Bay s’est déroulée complètement par hasard et n’était pas prévue, écrit-il. Le Likoud n’a aucune intention ni envie de prendre part aux élections en France. »

Une visite au mémorial de Yad Vashem

Sur son compte, Nicolas Bay a aussi posté différents clichés de ses déplacements. Il s’est rendu à l’hôpital français de Nazareth, où il était accompagné, dit-il, du « correspondant sécurité pour l’ambassade de France ». Une formulation laissant à penser que le ministère des affaires étrangères français favorisait cette visite. Contactée, l’ambassade de France à Tel-Aviv explique que « ni l’attaché de sécurité intérieure, ni aucun gendarme du détachement de sécurité n’a accompagné Nicolas Bay ». L’homme sur la photo a été facilement identifié. Il s’agit d’un Arabe israélien qui dirige le service infirmier de l’hôpital, et qui est par ailleurs l’interlocuteur de l’ambassade – un chef d’îlot, selon la désignation administrative – en cas de crise majeure dans la ville pouvant impliquer des Français, comme un tremblement de terre.

Du côté du ministère des affaires étrangères israélien, on tient à rappeler qu’aucune rencontre officielle n’a été organisée pour le représentant du FN, ni pour aucun autre délégué de son parti dans le passé. « C’est totalement contraire à la politique israélienne », souligne un diplomate. Ce n’est pas la première fois que des représentants du FN tentent d’organiser une visite de cette nature. Le député du Gard Gilbert Collard (Rassemblement bleu marine) a annoncé à plusieurs reprises vouloir effectuer un voyage officiel en Israël, sans que cela soit suivi d’effets. Son assistant parlementaire Jean-Richard Sulzer, ancien professeur à l’université Paris-Dauphine et conseiller économique de Marine Le Pen, s’est, en revanche rendu sur place pour une visite privée, en décembre.

M. Bay a aussi effectué, jeudi, une « visite émouvante au mémorial de Yad Vashem, où [il a] pu [se] remémorer les mots de Marine Le Pen : “Les camps ont été le summum de la barbarie” », a-t-il dit au Monde. Ce genre de visite à titre officiel est inédit pour un dirigeant du parti d’extrême droite français, fondé en 1972, entre autres, par d’anciens collaborateurs, comme l’ex-membre de la division SS Charlemagne Pierre Bousquet.

Dédiabolisation

Au lendemain de son élection comme présidente du FN, en 2011, Mme Le Pen avait déclaré dans un entretien au Point : « Je n’ai pas à faire de travail de mémoire. Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie. Et, croyez-moi, cette barbarie, je l’ai bien en mémoire. »

Depuis, la députée européenne ne manque pas une occasion de dire qu’elle se considère comme un « bouclier » pour la communauté juive française, notamment face à l’islam radical. Une manière de se démarquer de son père, Jean-Marie Le Pen, et d’essayer de se « dédiaboliser ». M. Le Pen a été condamné à plusieurs reprises pour contestation de crime contre l’humanité, après avoir assuré que les chambres à gaz génocidaires représentent un « détail » de l’histoire de la seconde guerre mondiale.

Ce déplacement de Nicolas Bay, ancien cadre du MNR (Mouvement national républicain) de Bruno Mégret, fait en tout cas se lever quelques sourcils au sein du parti lepéniste. « Je m’en étonne. Nicolas Bay était candidat avec le beau-frère de Robert Faurisson [militant négationniste] aux élections législatives en 2002. Il n’avait pas la réputation d’être philosémite quand il était chez Mégret, avance Michel Thooris, responsable de l’Union des patriotes français juifs, une association proche du FN. Je suis ravi, il a dû évoluer sur la question. C’est positif. »

M. Thooris, membre du comité central du FN, appartenait à l’équipe de campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2012 comme conseiller sur les questions de sécurité. Il avait accompagné le conjoint de la présidente du FN, Louis Aliot, lors d’un déplacement en Israël, en décembre 2011. Le vice-président du parti frontiste avait alors visité des colonies israéliennes en Cisjordanie, sans effectuer de rencontres notables.