La page Facebook du mouvement « Pour un enseignement pluraliste dans le supérieur en économie » (PEPS Economie) | PEPS ECONOMIE

Créé en 2010 en France, le collectif PEPS Économie (Pour un enseignement pluraliste dans le supérieur en économie) critique le manque de diversité, d’interdisciplinarité et d’ouverture de l’enseignement de l’économie dans le supérieur en France, ainsi que son décalage avec la réalité. Il estime que « la crise économique est aussi une crise de l’enseignement de l’économie », qui manque de recul historique, s’isole en ne se considérant pas comme une science sociale, et réserve une place démesurée à une seule école de pensée : la théorie dominante dite « néoclassique ». De nombreux autres mouvements similaires ont vu le jour en même temps dans le monde, qui se sont réunis au sein de l’International student initiative for pluralism in economics (ISIPE, initiative internationale des étudiants pour le pluralisme en économie), qui rassemble aujourd’hui 82 associations dans 31 pays). Cette initiative a reçu le soutien de plusieurs personnalités, comme Thomas Piketty, James Kenneth Galbraith et de nombreux enseignants-chercheurs. En mai 2014, leur manifeste « Pour une économie pluraliste : l’appel mondial des étudiants » avait été publié par sept journaux, dont Le Monde.

Membre de PEPS Economie, Maria Roubtsova, doctorante en économie, ancienne élève de classes préparatoires aux grandes écoles « lettres et sciences sociales » et de l’ENS Cachan, fait le point sur l’action menée pour rendre l’enseignement de l’économie plus ouvert, et sur ses résultats, qu’elle juge très décevants.

Pourquoi estimez-vous que l’enseignement de l’économie dans le supérieur manque de pluralisme ?

Nous avons réalisé en 2013 une cartographie sur cinquante licences françaises, qui montre que le manque de pluralisme n’est pas qu’un ressentiment partagé par une poignée d’étudiants, mais un phénomène global. En effet, l’on constate un décalage avec le contenu des cours de sciences économiques et sociales (SES), une déconnexion avec le monde réel, et surtout un manque de recul. A titre d’exemple, l’épistémologie, qui est l’étude de la construction du savoir, ne représente que 0,006 % des cours enseignés… et l’histoire de la pensée économique ne représente quant à elle que 1,7 %. Ces matières devraient être centrales, comme dans les autres disciplines telles que la sociologie, mais ce n’est pas le cas.

Ainsi, on ne sait pas d’où viennent les théories, dans quel contexte elles ont été produites, et donc on n’entrevoit pas leur limite. Or, les plus grands économistes du monde se livrent à des débats contradictoires montrant des désaccords tant sur le fond que sur les préconisations de politiques économiques, et pourtant les manuels d’économie du niveau licence ont tendance à vouloir nous présenter des théories comme des vérités indiscutables !

Quelles initiatives avez-vous menées pour défendre ce pluralisme ?

En France, depuis les états généraux du pluralisme [organisés par PEPS Economie le samedi 6 avril à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)], nous sommes intervenus aux congrès des associations d’économistes : l’AFEP (Association française d’économie politique) et l’AFSE (Association française de science économique). Plus globalement, nous avons échangé avec elles sur les questions d’enseignement. En effet, notre objectif étant des cours pluralistes de qualité pour tous les étudiants de licence, il est indispensable de dialoguer avec les enseignants-chercheurs.

PEPS Economie participe également au CNEG (Conseil national économie-gestion), fondé en mars 2016 à l’initiative de l’ARES (Association représentative des étudiants en sciences sociales). Faisant écho au CNEE (Conseil national éducation-économie) de l’enseignement secondaire, cette institution se veut être un lieu propice à la discussion entre l’ensemble des acteurs de la filière économie-gestion.

Qu’y avez vous proposé ?

PEPS Economie a appelé l’ensemble des acteurs professionnels, académiques et ministériels concernés par les domaines de l’économie et de la gestion, à rejoindre ce conseil. Le CNEG s’est donc constitué, avec l’ARES, le MEDEF, l’Association des professeurs de SES (APSES), la Confédération nationale des Junior-Entreprises (CNJE), la Conférence des doyens des facultés de sciences économiques et gestion (CDD-FSEG), la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), PEPS Economie et Pépite France. Au sein du CNEG, nous nous sommes focalisés sur le volet « contenu des enseignements », les syndicats s’intéressent plutôt au volet « insertion professionnelle ». Le pluralisme n’est pas contradictoire avec la professionnalisation, au contraire, maîtriser l’interdisciplinarité, différentes méthodologies, et l’esprit critique est un plus sur le marché du travail !

Et sur le plan international, quelle est votre action ?

Nous avons réalisé la critique du projet CORE (un manuel en ligne avec exercices interactifs) de l’INET (Institute for New Economic Thinking, un think-tank) afin de montrer concrètement ce que nous attendons en matière de pluralisme.

De plus, PEPS Economie a organisé la deuxième Assemblée générale internationale des étudiants pour le pluralisme (ISIPE) à l’ENS Cachan et à l’EHESS, en mars 2016.

Finalement, quelles sont les contradictions et les oppositions à votre démarche ?

Nous recevons beaucoup de soutien verbal, la plupart des interlocuteurs sont d’accord avec notre constat de manque de pluralisme. Le rapport Hautcœur – dernier en date sur l’enseignement de l’économie dans le supérieur – allait aussi dans notre sens…, mais la difficulté est de passer des mots aux améliorations concrètes !

Quelles avancées positives voyez-vous et comment les évaluez-vous ?

Les avancées sont totalement insuffisantes : PEPS Economie veut une bonne formation en économie pour toutes et tous. Or des initiatives locales telles que de nouvelles formations de bi-licence économie-géographie entre Paris 7 et Paris 13 ont donné les seuls résultats concrets que l’on a observés : elles doivent être soutenues et aller encore plus loin ! Pour cela, il faudrait des manuels, une plate-forme en ligne (du type CORE, mais qui serait vraiment pluraliste) pour faciliter le travail des enseignants, et ainsi massifier l’enseignement pluraliste.

Une avancée concrète mineure est la suspension de l’agrégation du supérieur pour le recrutement des professeurs des universités. Si cela peut avoir un effet sur la diversité du recrutement des professeurs, cela ne concerne pas vraiment les étudiants, dans la mesure où nos revendications portent sur le contenu des cours et non sur les personnes qui les dispensent ! En tout cas, depuis la création de PEPS Economie en 2010, la frustration intellectuelle des étudiantes et des étudiants en économie n’a pas changé.