Le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, rencontre des représentants de l’opposition syrienne à Moscou, le 27 janvier. | ALEXANDER NEMENOV / AFP

L’encre à peine séchée au bas de la déclaration commune sur un cessez-le-feu en Syrie, présentée mardi 24 janvier par la Russie, la Turquie et l’Iran à l’issue des pourparlers d’Astana (Kazakhstan), Moscou souhaitait passer à la vitesse supérieure. Rédigé par des « experts russes », un projet de Constitution syrienne a été aussitôt distribué, tandis que l’opposition syrienne était conviée à en discuter sur place, dans la capitale moscovite, vendredi 27 janvier, avec le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov. « Nous avons invité tous ceux qui veulent venir », avait annoncé le chef de la diplomatie russe, mais seule une poignée d’opposants, sur les vingt-cinq attendus, ont répondu présent.

Le Haut-Comité des négociations (HCN) de l’opposition a décliné l’invitation, tout comme la Coalition nationale syrienne (CNS), la principale formation de l’opposition en exil. Les Kurdes syriens du Parti de l’union démocratique (PYD), en revanche, étaient représentés. « Si on tient compte en permanence de la position capricieuse du HCN, cela peut ralentir considérablement le processus de négociations sur la Syrie », a réagi avec humeur M. Lavrov en annonçant le report « à la fin du mois (…) sans aucune raison » des prochaines négociations prévues pour s’ouvrir sous l’égide des Nations unies, le 8 février, à Genève. L’ONU n’a pas confirmé ce report, dont la rumeur s’était déjà répandue dans les couloirs à Astana.

Clauses sensibles

Moscou, qui fait figure aujourd’hui de principal médiateur dans le dossier syrien, souhaitait profiter de son avance pour accélérer les discussions, alors que la nouvelle administration américaine de Donald Trump prend encore ses marques. Après la réunion des groupes armés syriens à Astana, la Russie voulait ainsi préempter le volet politique dans le droit fil de la résolution 2254 adoptée par l’ONU, qui ouvre la porte à une transition politique. « Nous sommes convaincus qu’il est temps de cesser de tourner autour du pot, et qu’il est nécessaire de se concentrer sur les questions concrètes conformément à l’ordre du jour défini par la résolution 2254, y compris les travaux sur la Constitution », a déclaré vendredi M. Lavrov.

Commencée tôt, la réunion avec onze représentants de l’opposition syrienne a cependant fourni un autre motif de mécontentement au ministre russe des affaires étrangères, après que l’un des participants a comparé le projet russe de Constitution pour la Syrie à la loi fondamentale d’Irak, négociée en 2004 sous le patronage de l’administrateur américain Paul Bremer. « C’est une attitude très mauvaise parce qu’en Irak, il s’agissait d’envahisseurs qui ont écrit et imposé une Constitution au peuple irakien, comme un texte sans compromis », s’est énervé M. Lavrov.

Le document rédigé par des « spécialistes » n’a pas été rendu public, mais des extraits, publiés par les agences russes, ont mis en évidence plusieurs clauses sensibles. Parmi les principales mesures proposées figure notamment la disparition du mot « arabe » dans le nom du pays, la République arabe syrienne devenant la République syrienne tout court. « La République syrienne est un état démocratique, souverain, fondé sur la primauté du droit et de l’égalité de tous les citoyens devant la loi », proclame le premier article, cité par l’agence Ria Novosti. La référence à la loi islamique (charia) inscrite actuellement comme « la principale source de la loi » disparaîtrait.

Vifs débats

L’élection pour un mandat de sept ans, renouvelable une fois, du président syrien, reste inchangée. Toutefois, une « assemblée du peuple » aurait le pouvoir de le destituer, de décider de la guerre ou de la paix, de nommer les membres de la Cour constitutionnelle ainsi que de nommer et de révoquer le dirigeant de la Banque centrale. Tout en demeurant le chef suprême de l’armée, le président syrien verrait, en théorie, son influence affaiblie dans ce domaine. « Les forces armées sont sous le contrôle du peuple et défendent la Syrie et son intégrité territoriale. Elles ne peuvent pas être utilisées comme un moyen d’oppression de la population, n’interfèrent pas dans le domaine politique et ne jouent aucun rôle dans le transfert du pouvoir », précise l’article 10.

Parmi les autres propositions avancées, plusieurs annoncent de vifs débats, comme celle qui consisterait à créer une « région autonome kurde », ou bien cette autre qui, tout en soulignant l’intégrité de la Syrie, autoriserait un « changement de frontières » à la condition d’organiser un référendum général – dont le président reste le seul à pouvoir décider, comme pour toutes les questions concernant « les intérêts supérieurs du pays ».

« Le projet a été conçu en tenant compte de la position de tous, du gouvernement syrien comme de l’opposition », n’a cessé de marteler le chef de la diplomatie. « C’est plutôt un questionnaire », a justifié de son côté la porte-parole du ministère, Maria Zakharova. « Il y a beaucoup d’aspects positifs dans ce projet, en particulier la disparition du mot arabe dans le nom de la République syrienne, ainsi que l’abolition de la religion dominante. Mais malheureusement, ce projet ne répond pas à toutes les attentes du peuple syrien », a pour sa part réagi à la sortie de la réunion de Moscou, Khaled Issa, représentant les Kurdes syriens.