On attendait Casablanca, la grande métropole marocaine, Monrovia, la capitale libérienne, ou Lagos, aujourd’hui capitale économique du Nigeria. Les trois villes ont en commun d’avoir accueilli chacune entre 1961 et 1962 des réunions préparatoires à la création d’une organisation panafricaine. On attendait également Bangui, en Centrafrique, Yaoundé, au Cameroun ou encore Brazzaville, au Congo, à cause de leur position géographique centrale sur le continent. On attendait enfin Le Caire, en Egypte, Dakar, au Sénégal, ou Alger, en Algérie, en raison de la qualité de leurs infrastructures. C’est finalement Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, qui avait été choisie en mai 1963 pour devenir le siège de la toute nouvelle Organisation de l’unité africaine (OUA), et partant la capitale de l’Afrique.

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Derrière cette préférence des chefs d’Etat et de gouvernement réunis pour la toute première fois dans la vie de leur organisation apparaît une volonté claire de manifester reconnaissance et hommage à l’endroit de l’empereur éthiopien Haïlé Sélassié. Celui-ci avait en effet réussi le tour de force de mettre d’accord les deux blocs antagoniques qui s’étaient formés au lendemain des indépendances des anciennes colonies françaises et britanniques.

Fédérer tous les Etats du continent

D’un côté, il y avait le bloc de Casablanca qui s’était réuni en janvier 1961 dans la métropole marocaine sous l’égide du roi Mohammed V avec, à son côté, l’Egyptien Gamal Abdel Nasser, le Ghanéen Kwame Nkrumah, le Guinéen Ahmed Sekou Touré et le Malien Modibo Keïta. De l’autre, le groupe de Monrovia, né dans la capitale libérienne autour du président William Tubman, avec pour piliers le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le Camerounais Amadou Ahidjo et le Nigérien Hamani Diori.

Une première tentative de rapprochement entre ces deux groupes que l’on définissait alors comme « progressistes » pour les uns (Casablanca) et « modérés » (Monrovia) pour les autres, avait échoué en janvier 1962 à Lagos, alors capitale politique du Nigeria. Après cet échec, l’empereur avait repris en main le dossier de la création d’une organisation capable de fédérer tous les Etats du continent. D’Accra au Caire, de Conakry à Kampala, en passant par Tripoli, Dakar et Dar es-Salaam, l’empereur envoya son ministre des affaires étrangères, Ato Ketema Yifru, convaincre les dirigeants africains d’assister à la conférence constitutive de l’Organisation de l’unité africaine. Le 24 mai 1963, dans une salle de la capitale éthiopienne qui a fini par prendre le nom d’African Hall, l’OUA est portée sur les fonts baptismaux en présence de trente-deux chefs d’Etat et de gouvernement. Nul ne pouvait alors envisager une autre capitale qu’Addis-Abeba pour abriter la toute nouvelle organisation continentale.

Le rêve avorté de Kadhafi

Au-delà de la seule participation massive obtenue par l’empereur Haïlé Sélassié, le succès total des résultats de la première conférence des chefs d’Etat et de gouvernement plaidait également en faveur de la capitale éthiopienne. Le gouvernement éthiopien avait alors relevé le défi sécuritaire et logistique de réunir dans une seule ville trente-deux chefs d’Etat et de gouvernement. En 1963, ce n’était pas gagné d’avance. Il avait surtout préparé en amont des textes dont la Charte africaine universelle qui n’a eu aucune peine à faire consensus. Un succès d’autant plus éclatant que les positions étaient jusqu’ici tranchées entre « modérés » et « progressistes ».

Surfant sur le succès de leur rencontre, les chefs d’Etat et de gouvernement assignent notamment à l’OUA la mission de parachever la décolonisation du continent en soutenant politiquement et matériellement l’indépendance des colonies portugaises (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Cap-Vert, et Sao Tomé-et-Principe), mais aussi des Comores et de Djibouti alors sous tutelle française. La conférence convient également que son secrétariat général est désormais fixé à Addis-Abeba, où les chefs d’Etat doivent se retrouver périodiquement pour échanger sur les grands problèmes du continent.

Depuis 1963, la capitale éthiopienne est ainsi devenue la capitale de l’Afrique, avec les avantages et les inconvénients d’une telle responsabilité. Toutefois, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait rêvé, en 1999, à la faveur du remplacement de l’OUA par l’Union africaine (UA), d’obtenir le transfert de la capitale africaine d’Addis-Abeba à Syrte, sa ville natale. Mais la tentative n’a pas prospéré, tant les pays du continent étaient attachés à la contribution de l’empereur éthiopien à l’unité africaine.