Des manifestants à Los Angeles, le 29 janvier. | KONRAD FIEDLER / AFP

Ruben Saidian a les yeux rivés, dimanche 29 janvier, sur le poste de télévision qui trône dans un coin de sa boutique de bijoux et de tapis située sur Westwood boulevard en plein cœur du quartier iranien de Los Angeles (Californie), la Petite Perse.

A l’écran, le président américain Donald Trump se livre à un discours, simultanément traduit en farsi. C’est avec résignation que cet homme de 67 ans a accueilli la signature, vendredi 27 janvier, par le locataire de la Maison Blanche d’un décret interdisant temporairement l’accès aux Etats-Unis des ressortissants de sept pays majoritairement musulmans, dont l’Iran, au titre de la lutte contre le terrorisme islamique.

Depuis qu’il est installé en Californie, M. Saidian se rend chaque année à Téhéran. Il avait prévu de faire le voyage le mois prochain, mais la mesure de la nouvelle administration l’a contraint de revoir ses plans : « J’ai peur de rester bloqué, d’un côté comme de l’autre de la frontière. » Disposant aussi de la citoyenneté américaine, il redoute par ailleurs les représailles des autorités iraniennes, qui ont décidé de mettre en place le principe de réciprocité après le décret.

« Rupture avec l’ère Obama »

« Je ne comprends ni la stratégie, ni la logique de ce texte. Vous avez vu la composition de la liste des nations visées ? », s’indigne Maryam M., dont les parents ont eux aussi dû reporter leur projet de voyage dans leur pays natal.

« On nous explique que c’est une décision motivée par le terrorisme et l’Arabie saoudite n’est même pas concernée ! Pis, Donald Trump s’est entretenu avec le roi Salmane [dimanche] », détaille la cinquantenaire. « On nous explique qu’il s’agit de protéger le territoire national : pas un seul ressortissant des Etats ciblés n’a commis d’attentat sur le sol américain », souligne de son côté Aydin K., 60 ans, inventaire à l’appui.

Pour ce vendeur de tapis perses, le milliardaire et son équipe ont des intentions cachées. Quand on lui demande lesquelles, il glisse dans un sourire : « Vous savez, les Iraniens sont très forts dans l’immobilier à New York et à Los Angeles… »

Max Safahi, la soixantaine également, estime quant à lui que par ce décret, le président américain donne des gages à une frange de son électorat : les Blancs aux relents xénophobes. « La liste comporte six pays dont le poids diplomatique est quasi inexistant, fait valoir cet ingénieur retraité. L’Iran, c’est autre chose. On est dans le symbolique. Trump marque une rupture avec l’ère Obama, comme il l’a d’ailleurs fait depuis sa prise de fonction. »

Assis à l’ombre d’une terrasse de café de la Petite Perse, M. Safahi raconte une plaisanterie qui circule dans la communauté musulmane iranienne depuis vendredi soir : « Nous [les Iraniens] ne pouvons pas nous rendre dans la maison de Dieu car on est en froid avec l’Arabie saoudite. Nous ne sommes même plus acceptés dans celle du Diable, les Etats-Unis ne veulent plus de nous. »

Stigmatisation de nations entières

Il explique cependant prendre « très au sérieux » la situation actuelle. « Il prend une mesure contre les gens, pas contre les régimes. Or, les personnes qui souhaitent entrer sur le territoire américain et qui disposent des papiers délivrés par les autorités sont généralement en désaccord avec les gouvernements de leur pays d’origine. »

Noshad Simno, 29 ans est arrivé en 2002 avec sa famille. Ce professeur de tennis comprend la logique de protection nationale, mais pas le processus de stigmatisation de nations entières : « Les Etats-Unis ne se sont-ils pas construits grâce à l’immigration ? Trump utilise en plus un argument religieux qui est simpliste et faux. Il appose sur ces Etats un label erroné. »

Titulaire d’un passeport américain, le jeune homme ne s’en sent pas moins pointé du doigt par ce décret. « Ce qui me rassure, c’est de voir les gens mobilisés. Les scènes qu’on peut observer à LAX ou JFK [les aéroports de Los Angeles et de New York où des centaines de manifestants sont venus témoigner leur soutien aux personnes ciblées par le texte] redonnent de l’espoir. »

Dans son magasin de vêtements et de souvenirs persans, Bahman Bennett, 60 ans, préfère ne pas aborder le sujet, estimant que sa fille, psychologue et donc plus à même de sonder le cerveau du président, serait un meilleur interlocuteur. La situation actuelle est clairement « injuste », glisse-t-il toutefois. « Mais c’est temporaire. La communauté va se lever pour combattre cette politique. On ne laissera pas faire. »