Le candidat de la droite à la présidentielle, François Fillon, le 31 janvier, à Paris. | THOMAS SAMSON / AFP

Depuis maintenant une semaine, les soupçons pèsent sur le couple Fillon, fragilisant la candidature à la présidentielle de l’ancien premier ministre. Une semaine après la publication des premières informations concernant de supposés emplois fictifs de Penelope Fillon, Le Canard enchaîné a fait de nouvelles révélations dans son édition du mercredi 1er février.

Le point sur une affaire qui pourrait empêcher François Fillon de se présenter à la prochaine élection présidentielle.

  • Qu’est-il reproché à François et Penelope Fillon ?

Que ce soit comme assistante parlementaire ou comme conseillère littéraire de La Revue des deux mondes, Penelope Fillon est soupçonnée d’avoir bénéficié d’emplois de complaisance. D’après les nouvelles révélations du Canard enchaîné mercredi, le député François Fillon l’a employée en tant que collaboratrice parlementaire de 1988 à 1990, puis de 1998 à 2002 et enfin de mai 2012 à novembre 2013.

En mai 2002, François Fillon devient ministre des affaires sociales et du travail. Il cède alors son fauteuil de député de la 4e circonscription de la Sarthe à son suppléant, Marc Joulaud. Ce dernier embauche dans la foulée Penelope Fillon. Le contrat se termine le 31 août 2007, soit trois mois après l’arrivée de François Fillon à Matignon.

Enfin, après la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, M. Fillon retrouve sa place au Palais Bourbon en tant que député de Paris. « Dès juillet, Penelope est de nouveau recrutée comme “collaborateur” de son mari », affirme l’hebdomadaire satirique. Le Canard enchaîné chiffre mercredi à 831 440 euros brut la somme perçue par Penelope Fillon. Mais employer sa femme en tant qu’assistante parlementaire n’est pas illégal. Ce qui l’est, en revanche, si elle n’a pas exercé réellement son emploi. C’est ce qui est reproché à Penelope Fillon.

Interrogée par Le Canard enchaîné, Jeanne Robinson-Behre, qui a été collaboratrice de M. Joulaud, lorsqu’il était député entre 2002 et 2007, aurait dû collaborer avec Mme Fillon. Mais elle a assuré à l’hebdomadaire n’avoir « jamais travaillé avec elle ». « Je n’ai pas d’info à ce sujet. Je ne la connaissais que comme femme de ministre », assure-t-elle.

Le soupçon est le même du côté de La Revue des deux mondes, où elle aurait touché 100 000 euros en tant que conseillère littéraire entre mai 2012 et décembre 2013. Mais d’après Michel Crépu, qui dirigeait à l’époque la revue littéraire, l’épouse de François Fillon « a bien signé deux ou peut-être trois notes de lecture », mais « à aucun moment (…) je n’ai eu la moindre trace de ce qui pourrait ressembler à un travail de conseiller littéraire ».

  • Où en est l’enquête ?

Une enquête judiciaire a été ouverte, mercredi 25 janvier, après les premières révélations du Canard enchaîné. Cette enquête préliminaire porte sur des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits.

Les enquêteurs cherchent à déterminer si Mme Fillon a effectivement exercé une activité pendant les années où elle a été rémunérée en tant qu’assistante parlementaire, au côté de son mari, puis de son suppléant Marc Joulaud quand M. Fillon était au gouvernement ou à Matignon.

Lundi, M. et Mme Fillon ont été entendus séparément à Versailles, dans les locaux du groupe d’intervention régional, par les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Mardi, les enquêteurs se sont rendus à l’Assemblée nationale pour se faire remettre des documents. Marc Joulaud va être entendu mercredi par le parquet financier.

L’enquête avance aussi concernant l’emploi de Mme Fillon à La Revue des deux mondes, rémunéré 5 000 euros brut mensuels entre mai 2012 et décembre 2013. Les enquêteurs ont perquisitionné les locaux de la revue littéraire. Lundi, le propriétaire du magazine, l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière, PDG de Fimalac et proche de M. Fillon, a été également entendu dans les locaux de l’OCLCIFF, à Nanterre.

  • Que risquent-ils ?

Le détournement de fonds public vise l’emploi de Mme Fillon en tant qu’assistante parlementaire de son époux. D’après l’article 432-15 du Code pénal, le candidat de la droite à la présidentielle risque dix ans de prison et une amende d’un million d’euros – voire plus selon le montant total des sommes frauduleusement versées. Pour qu’il soit condamné, il faut pour cela prouver que la rémunération n’a pas correspondu à un travail réel à la hauteur de celle-ci et que M. Fillon a abusé de sa position pour favoriser sa femme.

Le volet de l’enquête sur l’abus de bien social concerne les activités de Penelope Fillon à La Revue des deux mondes. Marc Ladreit de Lacharrière devra prouver que les rémunérations versées correspondent bien à un travail réel. Visé par le code du commerce, l’abus de bien social est passible de cinq années d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 euros.

Enfin l’enquête sur le recel de ces délits vise plus spécifiquement Mme Fillon. Cela consiste, selon la loi, à bénéficier en connaissance de cause du produit d’un crime ou d’un délit et est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

  • Quelle est la défense de François Fillon ?

Depuis que le scandale a éclaté, l’ancien premier ministre peine à opposer un argumentaire consistant. A chaque fois qu’il tente de déminer le terrain, par exemple en évoquant des missions confiées à ses enfants, son compte en banque unique ou en dénonçant la « misogynie » portée par ces révélations, il multiplie imprécisions, contradictions et esquive des questions de fond.

Interrogé sur le plateau du « 20 Heures » de TF1, jeudi, M. Fillon avait tenté de justifier l’emploi de sa femme. Le candidat de la droite à la présidentielle a expliqué que Penelope Fillon travaillait pour lui « depuis toujours ». Elle a « corrigé [s] es discours », « reçu d’innombrables personnes qui voulaient [le] voir et qu’[il] ne pouvai [t] pas voir », l’« a représenté dans des manifestations et des associations » et fait « la synthèse de la presse », a-t-il ainsi énuméré.

Après les nouvelles révélations du Canard dans son édition du 1er février, François Fillon a dénoncé « une opération d’une extrême ampleur de calomnie très professionnelle ». « A ma connaissance, dans l’histoire de la Ve République, cette situation ne s’est jamais produite », a-t-il souligné, évoquant « l’élimination d’un candidat à la présidentielle » par des voies autres que démocratiques. « J’ai confiance dans la justice. (…) Je suis confiant, je suis serein, j’attends désormais la fin de cette enquête », a-t-il ajouté lors d’une intervention devant le groupe EBG, un cercle de réflexion d’entrepreneurs sur l’innovation numérique.

  • Deux de ses enfants employés comme assistants

Dans son édition du 1er février, le Canard enchaîné affirme que M. Fillon a rémunéré deux de ses enfants comme assistants parlementaires lorsqu’il était sénateur de la Sarthe entre 2005 et 2007. Marie Fillon aurait reçu au total plus de 57 000 euros brut et Charles Fillon plus de 26 600 euros.

D’après l’hebdomadaire satirique, la fille aînée, qui « venait alors tout juste de terminer ses études de droit », a été employée par son père à partir du 18 septembre 2005 et rémunérée au départ 3 773 euros brut mensuels puis 3 814 par mois en tant qu’« assistante de sénateur ». Elle restera à ce poste jusqu’au 31 décembre 2006.

Dès le lendemain de son départ, M. Fillon la remplace par un de ses fils, Charles. Selon Le Canard enchaîné, il est rémunéré « 4 846 euros brut mensuels, soit 27 % de plus que sa sœur aînée ». Il restera employé jusqu’au 17 juin 2007 alors que François Fillon, nommé à Matignon par Nicolas Sarkozy, a quitté son poste de sénateur.

Lors de son entretien au « 20 Heures » de TF1, jeudi, François Fillon avait révélé qu’il avait rémunéré « pour des missions précises deux de ses enfants [Marie et Charles] qui étaient avocats en raison de leurs compétences » lorsqu’il était sénateur de la Sarthe. Or, Marie et Charles Fillon sont effectivement aujourd’hui avocats, mais ils n’étaient pas encore diplômés au moment où leur père siégeait au Sénat.