Campagne du barreau de Paris. | Barreau de Paris

Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris, a lancé mardi 31 janvier une offensive à l’intention des candidats à l’élection présidentielle, pour les faire réagir quant à l’état de la justice « au bord de la faillite ». Une campagne de communication les représentant un à un sous les traits d’hommes de Cro-Magnon les interpelle avec des slogans du type : « Notre justice vit à l’âge de pierre. Quel engagement prenez-vous ? »

M. Sicard se désole de voir les candidats, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, en passant par Benoît Hamon, Emmanuel Macron ou François Fillon, « aussi taisant » sur la situation alors que la France compte deux fois moins de magistrats – par rapport à sa population – que la moyenne des pays européens. « Les rares fois où les politiques s’intéressent à la justice, c’est pour dire que les juges jugent mal et que les avocats défendent des coupables », se désole-t-il.

Doublement du nombre de magistrats

Le barreau de Paris, le plus important du pays, avec 29 500 avocats inscrits, soumet un « pacte justice » sous la forme d’une plate-forme de propositions, à commencer par le doublement du nombre de magistrats (ils sont un peu plus de 8 000 aujourd’hui) en cinq ans. Ce qu’aucun candidat ne propose. Le seul à donner un chiffre étant M. Fillon, qui évoque 300 postes de magistrats à créer.

Autres revendications, l’aide juridictionnelle et l’accès au droit alors qu’« un quart de la population française en est privé », affirme le bâtonnier. Le barreau de Paris plaide pour une généralisation des contrats de protection juridique, qui seraient le pendant de l’inscription dans la Constitution du « droit à l’assistance d’un avocat pour tous ». Il plaide également pour un crédit d’impôt pour les personnes qui ne bénéficient pas de l’aide juridictionnelle, alors que les entreprises peuvent récupérer la TVA sur leurs frais de justice.

Comme toutes les professions, les avocats profitent de la campagne électorale pour faire avancer leurs revendications. Mais ils y vont en ordre dispersé. Pourtant, Jean-Jacques Urvoas, le garde des sceaux, les avait mis en garde publiquement le 25 novembre, lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris. Pour le ministre de la justice, « il y a trop de concurrence et pas assez de complémentarité entre les barreaux et le Conseil national des barreaux » (CNB). « Votre expression s’affaiblit quand pour défendre vos intérêts vous utilisez plusieurs voix », avait lancé le ministre à l’adresse des avocats.

« La déjudiciarisation, c’est du pipeau »

Depuis, rien n’a changé. Le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux ont chacun de leur côté lancé un questionnaire en ligne pour préparer l’interpellation des candidats à la présidence de la République. « Nous disons les choses librement et fortement, les autres pourront négocier aimablement », justifie M. Sicard. Pascal Eydoux, le président du CNB, a décidé de son côté de « ne plus se donner la peine de répondre » à M. Sicard. « Je n’ai pas pris le pouvoir, la loi me le donne, donc je l’exerce au nom des 69 000 avocats de France », affirme M. Eydoux, en référence à la loi de 1971 organisant les pouvoirs respectifs des ordres et du CNB.

Mais cette querelle pose problème quand les positions sont opposées, comme sur le divorce par consentement mutuel sans juge. Cette réforme, entrée en vigueur le 1er janvier, était soutenue par le CNB et combattue par le barreau de Paris. « La déjudiciarisation, c’est du pipeau », dénonce le bâtonnier de Paris, pour qui « une société sans juge est une société sans loi ». Selon lui, la solution reste de mettre plus de juges. « Sinon vous aurez une poudrière : laisser un Français attendre cinq ans que son contentieux immobilier soit jugé en fera un Français révolté, qui ne votera plus », prévient-il.

M. Eydoux préfère plaider pour le développement des modes alternatifs de conflits, comme la médiation et la conciliation. « On ne devrait aller chez le juge qu’en cas d’échec », estime-t-il. Il prend ainsi une position assez proche de celle qui est défendue par le garde des sceaux actuel.

En revanche, CNB et barreau de Paris se retrouvent dans la dénonciation de l’état d’urgence sans fin, dont peu d’hommes politiques envisagent la sortie. Dominique Attias, vice-bâtonnière de Paris, y voit un « changement de société » pernicieux : « des mesures de l’état d’urgence sont entrées dans le droit commun, c’est-à-dire qu’elles concernent chacun d’entre nous et ne sont pas réservées aux terroristes ». « On ne peut plus durcir davantage nos lois antiterroristes », affirme M. Sicard, selon qui « même les Etats-Unis n’ont pas osé aller aussi loin ».