C’est une percée discrète et puissante à la fois. Plus de trente monnaies locales circulent en France, la plupart créées depuis 2011 et pilotées par des groupes de citoyens, comme la gonette à Lyon ou la pêche de Montreuil. D’autres ont vu le jour à l’initiative de collectivités, comme la bou’sol de Boulogne-sur-Mer.

En version papier ou exclusivement numériques, elles dessinent une nouvelle carte économique des villes, fondée sur le développement local des entreprises et la promotion des circuits courts. Autorisés par la loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire (ESS) du 31 juillet 2014, ces nouveaux moyens de paiement complémentaires de l’euro se veulent aussi des outils de réappropriation de l’économie locale par les habitants.

Mais qu’en est-il de leur impact environnemental ? C’est l’objet d’un rapport publié le 25 janvier par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui s’est penché sur leur volet écologique. Avec un constat : si leurs effets sur l’environnement sont moins importants que les impacts économiques et sociaux, les monnaies locales restent des outils intéressants pour faire évoluer les comportements.

Monnaie « verte »

L’étude distingue trois types de monnaie qui toutes intègrent une dimension environnementale.

La monnaie « verte » oriente le consommateur vers des acteurs économiques plus respectueux de l’environnement et vers l’économie locale. C’est le cas du stück à Strasbourg ou du grain au Havre, qui exclut de son réseau les entreprises aux pratiques économiques « socialement ou écologiquement non responsables comme l’agriculture industrielle ou hors sol et (…) la grande distribution ». A Toulouse, le sol-violette se présente d’abord comme un levier de développement à l’échelle du territoire mais intègre aussi un volet environnemental fort en favorisant “les petits producteurs bio ou artisanaux, les AMAP ou les restaurateurs privilégiant les produits locaux et de saison”.

A Brest, la charte de la monnaie héol valorise « les productions locales peu génératrices de pollution par transport, l’utilisation d’énergie renouvelable, les transports actifs, vélo, marche, covoiturage, transport collectif, autopartage ». Une façon d’encourager les citoyens à privilégier les commerçants sélectionnés pour leur engagement en faveur de l’environnement, et qui s’approvisionnent eux-mêmes chez des fournisseurs appartenant au réseau.

Monnaie de récompense et troc

D’autres expériences utilisent la monnaie comme une « récompense » pour encourager l’adoption de comportements plus écologiques. Dans la commune d’Ayen (Corrèze), le y’aca est étroitement associé à un système de covoiturage entre particuliers. Le passager rétribue en billets y’aca le conducteur, qui les écoule ensuite dans les commerces de la petite ville. Le rapport cite aussi les torekes, mis en place dans le quartier socio-économiquement défavorisé de Rabot-Blaisantvest, à Gand (Belgique), pour inciter les habitants à s’investir dans leur quartier, par exemple en cultivant des potagers.

Enfin, des systèmes d’échange entre particuliers favorisent la mutualisation des ressources. Sur le site Mytroc, les échanges sont rétribués en noisettes. Le site encourage une consommation plus durable et s’engage aussi à reverser une partie de ses bénéfices à des associations écologiques.

Valeurs communes

Parce qu’elles sont souvent récentes et pilotées par des bénévoles, ces expériences ont un impact environnemental « faible et encore difficile à mesurer », estime l’étude de l’Ademe, qui insiste sur la nécessaire mise en place de méthodologies et d’outils d’évaluation. Pour autant, elles « peuvent constituer un outil pertinent pour sensibiliser les acteurs et flécher leurs comportements en fonction des objectifs environnementaux que l’on poursuit ».

Pour Valérie Weber-Haddad, économiste à l’Ademe et coauteure de l’enquête, « ces monnaies représentent des leviers intéressants du point de vue écologique car elles sont soutenues par l’adhésion à des valeurs communes et le volontariat ». Elles offrent à cet égard une alternative aux taxes et aux normes imposées.

L’autre intérêt de ces initiatives, c’est qu’elles sont souvent adossées à des fonds de réserve ou des cagnottes associatives dont la vocation est de financer des projets. C’est le cas par exemple de l’association de l’eusko, au Pays basque, dont le fonds d’investissement soutient des projets d’intérêt collectif à vocation environnementale et/ou locale.

L’Ademe préconise de « verdir » les monnaies locales, en les accompagnant dans leur volet environnemental afin d’éviter les confusions, notamment entre produit local et produit bio. Selon le rapport, « les produits locaux ne sont pas nécessairement des produits écologiques et la seule réduction des coûts de transport n’est pas suffisante » pour avoir un impact sur l’environnement.

Valérie Weber-Haddad se défend de toute volonté d’« ingérence dans la gouvernance » de ces expériences citoyennes. « Nous sommes là en tant qu’observateurs de ces innovations et comme soutien au moment de l’étude de faisabilité et dans la mise en place de dispositifs de suivi et d’évaluation. » Plusieurs expériences font déjà l’objet de cet accompagnement, notamment à Brest autour de la monnaie heol et à Strasbourg avec le stück. Un projet de monnaie régionale est aussi en cours en Normandie.

D’autres billets sur le blog « Chronique des communs ».

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