Une affiche qui présente un spectacle « exotique » au Musée zoologique de Berlin au début du XXe siècle. | Oliver Ziebe

« Le diable se cache dans les détails » est une expression courante qui nous viendrait du philosophe allemand de la seconde moitié du XIXe siècle, Friedrich Nietzsche. Elle signifie qu’il ne faut jamais négliger les plus petites choses qui peuvent être source de désagréments ou être profondément révélatrices.

Ce 13 décembre 2016, j’ai franchi le seuil de l’immense hall du Musée historique allemand, en gardant à l’esprit l’adage attribué à Nietzsche. Dehors, une fine neige blanchit les bâtiments d’architecture baroque de l’ancien arsenal de Berlin construit par Frédéric Ier, roi de Prusse, qui abrite le musée. Ici, tout est splendeur et gigantisme. Ça tombe bien, je suis venu voir la grande exposition sur le colonialisme allemand, une première au pays de Bismarck et Merkel, visible jusqu’au 14 mai.

Ornements bigarrés

Parmi les cinq cents objets présentés, certains modestes et d’autres colossaux, exhibés sous la lumière muséale, intéressons-nous à cette horloge datant de 1905 de style Art nouveau. Si elle pouvait parler, elle nous dirait qu’elle fut produite industriellement pour égayer les foyers allemands, mais qu’elle avait aussi pour mission de rappeler, outre l’heure de la métropole, que « le soleil ne se couchait jamais » sur l’empire colonial germanique. Son coffre de bois orné de dessins naïfs et bigarrés célèbre la nature exotique des colonies : case, palmiers, savane, éléphants, serpents et chameau devaient achever de convaincre les sujets de Guillaume II que leur pays faisait jeu égal avec les autres grandes puissances européennes coloniales que furent l’Angleterre et la France.

L’horloge exposée ne se contentait pas de donner l’heure dans la métropole allemande, mais aussi dans l’empire colonial, « où le soleil ne se couchait jamais ». 1905 | DR

Après la consolidation du Second Empire, en 1871, les autorités allemandes se lancent dans une politique d’expansion, cherchant à acquérir des territoires en Afrique, dans le Pacifique et en Chine. Personne n’a oublié la conférence de Berlin sur l’Afrique qui se tint entre 1884 et 1885 et à laquelle participèrent quatorze pays européens. Les traités de cette fameuse conférence sont au cœur de cette exposition qui décrit un parcours historique clair et pédagogique.

Exterminer les Herero et les Nama

Les fondements idéologiques du colonialisme germanique sont examinés sans détour ni précaution rhétorique. Certes, ce colonialisme ne diffère pas de ses cousins français, britannique ou portugais, qui comportent aussi leur « mission civilisatrice » et leur hiérarchie raciale. Mais le cas allemand se caractérise par ses accents « scientifiques », comme le montrent les tableaux métriques et les crânes d’Africains dont des moules sont présentés dans l’exposition.

De la « raciologie » germanique au premier génocide du XXe siècle, commis par l’Allemagne dans sa colonie du Sud-Ouest africain, l’actuelle Namibie, entre 1904 et 1905, il y a un droit-fil que les commissaires mettent en pleine lumière. On sait aujourd’hui que le général Lothar von Trotha a sciemment voulu exterminer les Herero et les Nama affaiblis par la guerre d’usure imposée par les forces militaires coloniales. L’ordre d’en finir avec ces populations est pris par von Trotha. Les photos des prisonniers faméliques, celles des hommes de von Trotha en parade ainsi que les croquis du camp d’extermination sont bel et bien les traces d’une volonté génocidaire qui laissent le visiteur sans voix. Le gouvernement allemand a présenté en août 2004 des excuses officielles, historiques et morales pour ce génocide dont l’onde de choc est toujours présente dans la mémoire des Namibiens en général et des descendants des victimes en particulier.

Vision passéiste

La défaite de 1918 marque la fin de l’ère coloniale allemande en 1919. Placées officiellement sous mandat de la Société des nations, ses colonies – Cameroun, Togo, Namibie, Rwanda et Urundi et le Tanganyika – sont gérées de fait par la France et l’Angleterre.

C’est à cette époque qu’est construite de toute pièce une vision nostalgique et idéalisée des trois décennies précédentes. Contrairement à ses adversaires, l’Allemagne aurait mené une politique coloniale à visage humain privilégiant des relations harmonieuses avec les peuples des territoires concernés. De Berlin à Hambourg, en passant par Munich, des grandes affiches, des ustensiles, des livres pour enfants et des films témoignent de cette vision passéiste qui est une réécriture de l’Histoire.

On sort de cette exposition en se demandant quels sont ses points faibles ? On n’en voit guère : pédagogie, audace et exhaustivité. Pour une première, on a vu pire. Dehors, la neige tombe toujours sur le grand boulevard Unter den Linden.


« Deutscher Kolonialismus » (« le colonialisme allemand »), exposition au Musée historique allemand, à Berlin, du 14 octobre 2016 au 14 mai 2017.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (éd. Zulma).