Que risque François Fillon avec l’affaire Penelope ? Un « plan B » est-il possible ? Matthieu Goar, journaliste au Monde chargé du suivi de la droite, a répondu à vos questions sur le « live ».

Tommes G. : Est-ce qu’on peut déjà dire à qui profite l’affaire où s’emmêle le candidat LR ? J’ai lu dans la presse allemande que c’est surtout le FN qui pourrait en sortir gagnant…

Matthieu Goar : Bonjour à tous. Question intéressante. Pour le moment, beaucoup de proches de François Fillon agitent l’idée que Marine Le Pen serait la principale bénéficiaire de cette affaire. Il y a du vrai puisque le FN prospère aussi grâce au comportement de certains hommes politiques. Mais c’est un argument de communication pour l’équipe Fillon. Leur candidat serait le meilleur rempart contre le FN et en l’accusant, on fait le jeu du FN. C’est aussi une façon d’éviter de répondre sur le fond de l’affaire. Politiquement, on peut surtout penser que Macron est un des grands gagnants de cette actualité. Il peut être un candidat apprécié par l’électorat de centre-droit.

Bruno J. : Je ne vois pas comment Fillon peut continuer à faire campagne. Dès qu’il va parler travail, tout le monde va penser à Penelope. Dès qu’un candidat lui dira lors d’un débat le mot magique « emploi fictif », il ne pourra plus rien dire sauf qu’il est une victime de la « médiacratie », etc. Je ne vois pas trop comment il peut faire campagne, d’un point de vue pratique. Avez-vous des exemples d’hommes politiques qui se sont retrouvés dans des situations aussi calamiteuses ?

Matthieu Goar : C’est la raison pour laquelle la droite est en feu depuis quelques jours et commence à réfléchir à une solution de remplacement. La justice peut classer l’affaire mais cela ne fera pas disparaître les dégâts politiques. L’image de M. Fillon a été profondément abîmée. Même blanchi, il sera difficile pour lui de mener campagne sans être interpellé en permanence sur l’emploi de sa femme et de ses enfants. Vous imaginez le débat d’entre-deux tours ? Et comment peut-il proposer un programme très austère qui demande des efforts aux Français dans ce contexte ? Le meeting de dimanche dernier était censé amener de nouvelles idées dans son projet. Tout le monde n’a retenu que sa défense sur l’affaire. Cela résume la difficulté à faire campagne dans ces conditions.

Vbloc : François Fillon a-t-il cessé de faire travailler sa famille un mois avant que la loi sur la transparence l’oblige à dévoiler le nom de ses attachés parlementaires ?

Matthieu Goar : Oui c’est exactement ça. Il a cessé de faire travailler sa femme en décembre 2013, quelques semaines avant que les députés ne soient obligés de publier les noms de leurs collaborateurs. Lui explique qu’il avait moins besoin de ses services car il était député de Paris et plus de la Sarthe. Mais l’on se demande s’il n’a pas pris simplement conscience que cette situation déplairait à l’opinion.

Louis : Bonjour M. Goar, qui remplacera Fillon si ce dernier renonce à se présenter ?

Matthieu Goar : Bonjour Louis, cette question revient beaucoup dans vos commentaires. Dans l’idéal, les statuts du parti l’obligent à organiser une nouvelle primaire. Mais il n’y a plus assez de temps pour trouver 10 000 bureaux de vote. Du coup, c’est le bureau politique du parti qui déciderait de la façon de choisir un candidat. Par Internet, lors d’un congrès, par un vote des dirigeants… Tout est ouvert. Alain Juppé a dit qu’il ne serait pas un recours. Mais il ne pouvait pas dire autre chose la semaine dernière. Les conversations des dirigeants tournent autour de plusieurs noms : Juppé, Sarkozy mais aussi François Baroin dont le discours dimanche a marqué les esprits. Sinon, Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand ou encore Gérard Larcher sont aussi cités.

Elo 31 : Bonjour, Penelope Fillon a-t-elle prévu de s’exprimer en public ?

Matthieu Goar : Bonjour, vendredi dernier, l’équipe de François Fillon avait envisagé qu’elle donne une interview à la presse écrite, par exemple dans Paris Match. Depuis, ce projet semble mis entre parenthèses. Par contre la mise en scène et l’apparition de Penelope Fillon dimanche dernier lors du meeting de la Villette étaient parfaitement calculées. Le bouquet de fleurs, les larmes dans les yeux, les militants qui l’applaudissent debout… Fillon a joué avec l’émotion, ce qu’il dénonçait chez Sarkozy à une certaine époque.

Anonyme : Vu le nombre de personnalités de droite qui montent au créneau défendre Fillon, est-ce que cela ne montre-t-il pas au moins l’unité derrière lui – alors que c’était signalé comme un point faible il y a quelques semaines ? Si non, quelles sont les personnalités qui devraient se positionner et qui ne l’ont pas fait ?

Matthieu Goar : Je ne suis pas d’accord avec vous. En ce moment, on voit beaucoup les fidèles de François Fillon comme Gérard Larcher, Bernard Accoyer ou Bruno Retailleau. Mais avez-vous entendu s’exprimer les sarkozystes comme Laurent Wauquiez ou Christian Estrosi ? La déclaration de Christian Jacob à l’Assemblée était particulièrement timide. Bref, certains commencent vraiment à douter, même si personne ne veut apparaître comme celui qui donne le premier coup de couteau.

Paul B. : Est-ce que Le Monde mène en ce moment une enquête de fond sur le fond de l’affaire ?

Matthieu Goar : Oui, nous avons plusieurs journalistes qui travaillent sur François Fillon, comme sur les autres candidats à l’élection présidentielle. Nous faisons partie des journaux qui ont encore une cellule investigation qui sort régulièrement des dossiers importants. Sur ce coup-là, bravo tout simplement à nos confrères du Canard qui ont été plus rapides que nous.

Thomas : A quel degré estimez-vous possible le remplacement de François Fillon par une autre personne du parti ? Y-a-t-il éventuellement une « deadline » pour le parti, outre une mise en examen ? A partir de quand la situation deviendrait-elle si intenable qu’un remplacement forcé serait opéré ?

Matthieu Goar : Bonjour Thomas. Difficile de répondre à cette question car tout évolue d’heure en heure. Jour après jour, le retrait qui paraissait inenvisageable devient possible. Fillon affirme qu’il se retirera s’il est mis en examen. Mais s’il subit une fronde des élus et un délitement de son équipe de campagne, il pourrait être contraint de se retirer. Disons que je ne peux pas vous répondre précisément, la situation est trop éruptive.

Thierry : Si la presse continue son lynchage envers Monsieur Fillon et que Monsieur Macron se retrouve face à Madame Le Pen au second tour de la présidentielle, est-ce que les journalistes prendront leurs responsabilités pour avoir participé à l’élection de Madame Le Pen ?

Matthieu Goar : Le rôle de la presse est de sortir des informations. Retournons votre question : dans ce cas-là, M. Fillon n’aurait-il pas une grande part de responsabilité dans l’élection de Marine Le Pen ?

Jakofuté : Fillon n’utilise-t-il pas la technique de Sarkozy : essayer de se faire passer pour une victime de harcèlement ? Alors que c’est lui qui multiplie les erreurs de communication ! Il semble chercher à créer un rideau de fumée pour qu’on parle de la forme et non du fond… Le prochain épisode ne sera-t-il pas l’origine des commissions perçues par son cabinet de consultant ?

Matthieu Goar : Il y a effectivement beaucoup de ça dans la stratégie de communication. Depuis la semaine dernière, Fillon dénonce un complot, se dit attaqué par le système médiatique. Il joue la victime et se pose en défenseur de sa femme alors que le fond de l’affaire le concerne. Cette façon de jouer sur l’émotion et de solidifier sa base autour de lui fait beaucoup penser à Nicolas Sarkozy. Sur votre seconde question, il y a beaucoup de personnes qui s’intéressent à sa société 2F conseils ; même certains de ses proches lui ont posé des questions sur les clients de cette société. Mais il n’y a pour le moment aucun fait vérifié.

Abouchiw : Y a-t il un politique honnête ?

Matthieu Goar : Oui. Pour le moment, rappelons que François Fillon n’a jamais été condamné et qu’il n’est même pas mis en examen. Mais l’impression laissée par les affaires est désastreuse. A juste titre. Il y a pourtant beaucoup d’hommes politiques honnêtes qui travaillent sincèrement pour leurs concitoyens. Je peux vous le confirmer pour en croiser souvent. Une autre question revient beaucoup dans les commentaires : dans les pays scandinaves, Fillon n’aurait pas pu être candidat et se serait retiré, pourquoi pas en France ? C’est un des mystères de notre pays que je ne m’explique pas. Il y a sans doute une tolérance culturelle ancestrale même si les choses évoluent depuis quelques années.

Cyril R. : Savez-vous ce que pensent les militants LR de cette affaire ? Soutiennent-ils tous Fillon ? Ou veulent-ils s’en détourner ?

Matthieu Goar : Selon les premiers retours de terrain que nous avons, il y a deux attitudes dans l’électorat. Les partisans les plus fervents crient au complot et dénoncent l’attitude de la presse. Mais une partie des électeurs a des doutes et s’interroge. Ceux-là pourraient être tentés d’aller voir ailleurs si M. Fillon ne sort pas de cette impasse politique.