La Gaîté lyrique vise décidément juste en ce début d’année. Le centre d’art parisien prend on ne peut plus opportunément le pouls des tremblements du monde : de fait, les deux événements qui inaugurent sa programmation 2017-2022, sous l’égide de son nouveau directeur, Marc Dondey, se voient coup sur coup spectaculairement rattrapés par l’actualité. D’abord avec son « Grand Format » consacrée aux Lanceurs d’alerte (du 11 au 29 janvier). Le rebondissement qu’a connu l’affaire Chelsea Manning, avec l’annonce de sa libération prochaine par Barack Obama juste avant de quitter la Maison Blanche, a eu lieu alors que l’exposition rendait directement compte de la situation critique de l’ancien soldat condamné à 35 ans de prison.

Et désormais avec sa prochaine exposition, intitulée « Aéroports / Ville-Monde », qui se tiendra du 23 février au 21 mai, alors même que plusieurs aéroports américains sont devenus au cours du week-end des lieux de mobilisation contre le décret de Donald Trump interdisant l’entrée aux Etats-Unis de ressortissants de sept pays majoritairement musulmans. Son commissaire, Franck Bauchard, réagit pour Le Monde à ce concours de circonstances.

Que vous inspirent les manifestations qui se sont spontanément organisées samedi dans plusieurs aéroports des Etats-Unis et ailleurs dans le monde, en réaction au décret de Donald Trump ?

Cela m’a d’abord interpellé personnellement. Je me trouvais à Paris à ce moment-là, mais je vis aux Etats-Unis, et l’université de Buffalo, où je travaille, a rapidement réagi aux conséquences de ce décret, car une centaine de professeurs et d’étudiants sont concernés et se trouvent aujourd’hui en difficulté. Mais j’ai évidemment été frappé de voir que la réalité la plus manifeste et sensible de cette décision s’est jouée dans les aéroports, devenus des lieux sismographes des évolutions du monde.

Ce type de manifestations dans des aéroports était inédit aux Etats-Unis ?

Il y a déjà eu des rassemblements dans les aéroports américains pour accueillir des personnalités, mais une manifestation politique, c’est à mon avis une première, et cette situation nouvelle est intéressante. L’aéroport était devenu le symbole de l’inscription d’une nation dans la globalisation après la seconde guerre mondiale, et il représentait jusqu’ici l’entrée dans une nation. Il semble que l’on soit en train de sortir de cette logique : aujourd’hui il devient un objet politique.

Vous étiez déjà le commissaire de l’expo « Terminal P », l’été dernier à La Panacée, le centre d’art contemporain de la Ville de Montpellier. C’est cette exposition qui va être reprise et étendue à la Gaîté lyrique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est une nouvelle version de cette exposition, avec environ un quart des œuvres qui seront renouvelées. Notamment parce que l’espace de la Gaîté offre d’emblée une perception de l’ensemble, ce qui amène à davantage travailler sur les résonances entre les œuvres. On va également étendre l’espace d’exposition à l’accueil et aux toilettes, qui basculeront dans un Paris-New York. L’idée est d’inviter le visiteur à jouer au passager pour mieux plonger au cœur de questions plus sérieuses : mesurer à quel point les aéroports sont des lieux emblématiques de la globalisation, au carrefour de tous les flux et des grandes questions de société – migrations, surveillance, terrorisme, connection, commerce, tourisme… Ces lieux ordinaires constituent des laboratoires d’observation de la vie contemporaine.

L’exposition à Montpellier, présentée quelques mois après l’attentat à l’aéroport de Bruxelles, abordait la question du terrorisme. Allez-vous prendre en compte ces récentes mobilisations dans la nouvelle version de l’exposition ?

La question du terrorisme était très présente dès la préparation de l’exposition à Montpellier, avant que cet attentat ait lieu, notamment à travers le choix de présenter le travail de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, dont le « Musée du terrorisme » procède à une psychanalyse de l’aéroport international. Mais effectivement, ce qui s’est passé dans les aéroports ce week-end donne envie d’y donner un écho. Je pense notamment à une performance qui n’est pour le moment pas au programme et que l’on pourrait envisager d’inclure dans le parcours. Un texte va par ailleurs s’y écrire en direct, en prélevant des commentaires faits sur les réseaux sociaux depuis des aéroports à travers le monde. Ce type de mobilisations pourraient naturellement apparaître à travers ce dispositif.

Comment vous est venue l’idée de concevoir une exposition sur les aéroports ? Existe-t-il beaucoup d’oeuvres situées dans ces lieux ?

Non, l’idée est venue à partir du constat inverse : peu d’études et peu d’œuvres portent directement sur les aéroports, malgré leur importance. Or ce sont des lieux à travers lequel des centaines de milliers de personnes transitent chaque jour. J’aime beaucoup cette phrase d’Andy Warhol, qui détestait les avions : « Mon atmosphère favorite est celle des aéroports. » Ce qui est important, ce sont les infrastructures, les dispositifs techniques, même si on n’y prête pas beaucoup d’attention. De la même manière, concernant Internet, la question des câbles par lesquels les flux passent est primordiale. Les aéroports sont par ailleurs les symboles des villes, ils sont porteurs d’un discours publicitaire. D’où cette envie de concevoir une exposition très immersive, qui a demandé beaucoup de productions, surtout sonores, pour opérer un jeu de bascule sur ce qui s’y joue.