Documentaire sur Arte à 22 h 45

Hannah Arendt Du devoir de la désobéissance civile
Durée : 01:29:58

Diffusé après le portrait hommage de Margarethe von Trotta à Hannah Arendt (1906-1975), le documentaire d’Ada Ushpiz veut montrer la permanence de la pensée de celle-ci dans la société contemporaine, en Egypte et en Ukraine notamment. Un parti pris intéressant, même si sa pertinence n’est pas toujours évidente. Ada Ushpiz veut aussi donner la parole à Hannah Arendt et évoquer des moments importants de sa vie – la montée du nazisme en Allemagne, l’exil, sa relation avec Martin Heidegger, qui fut son professeur, le procès Eichmann…

Mais le long entretien en allemand avec Hannah Arendt, qui revient sur ses engagements, est trop découpé. On l’interroge d’abord sur la polémique suscitée par son livre Eichmann à Jérusalem et son concept de « banalité du mal ». Son visage est marqué, mais dès qu’elle argumente, s’anime, on retrouve son charme. « Si l’on juge qu’il faut absolument entrer dans le pathos pour écrire sur cette question… Je vais le dire autrement, je ne veux pas être agressive. Eichmann était très intelligent, mais avait une forme de bêtise, et c’est cette bêtise qui est scandaleuse. Quand je parle de “banalité du mal”, je n’ai jamais voulu dire qu’un Eichmann sommeillait en chacun de nous, ou je ne sais quelle autre bêtise. »

Les faits face à l’idéologie

Sarah Rifky, intellectuelle et militante égyptienne, explique qu’au moment de rejoindre les manifestations de la place Tahrir, elle a « ressenti le besoin de relire Arendt ». « C’est un peu cliché, mais ça m’a aidée à construire ma réflexion sur les événements. » Tous les militants qu’on entend dans ce film se rallient, même s’ils ne la prononcent pas, à cette phrase d’Arendt : « Mon métier, c’est la théorie politique. Je veux comprendre. » L’Israélien Dror Etkes, de l’ONG Kerem Navot, hostile aux colons israéliens, constate que « les faits ne comptent plus face à l’idéologie ». Pour l’écrivain ukrainien Yuri Andrukhovych, « Hannah Arendt a remarquablement défini la nature des régimes apparemment puissants » – on entend à plusieurs reprises dans le film des extraits de son livre Les Origines du totalitarisme. « Mais il existe désormais un néototalitarisme dont elle n’a pas fait l’expérience, ajoute-t-il. Il n’y avait ni Internet ni les réseaux sociaux. Elle décrit un totalitarisme classique. »

V in 1966. Portrait by photographer Fred Stein (1909-1967) who emigrated 1933 from Nazi Germany to France and finally to the USA.En 1966 | Fred Stein /AFP

Tout en allant à Hongkong et au Canada pour rendre compte des bouleversements sociaux, des manifestations contre l’austérité que, peut-être, « Hannah Arendt aurait jugées comme un signe d’aliénation à la société », selon le Canadien Benjamin Pillet, Ada Ushpiz souhaite retracer le parcours personnel d’Hannah Arendt. Et c’est là que le film est faible. On voudrait en savoir plus sur son lien à Karl Jaspers (1883-1969), dont Jerome Kohn, qui fut l’assistant d’Arendt et qui dirige le ­Centre Hannah-Arendt de New York, dit : « Jaspers avait pris la place de son père, mort très jeune. »

Quant à sa relation « intime » avec Martin Heidegger (1889-1976), « qui a persisté pendant toute l’existence d’Hannah Arendt », on ne peut se contenter du propos d’Emmanuel Faye, auteur de plusieurs livres contre Heidegger : « Le fond de la doctrine heide­gerienne est nazie et il n’est phi­losophe qu’en apparence. » Ni de la réponse de Jerome Kohn : « Elle ne pensait pas qu’Heidegger était un homme mauvais. » « A la fin de sa vie, elle paraissait très seule », conclut Kohn. En exil définitif. Ce qui a mené Hannah Arendt là apparaît dans le film, mais de manière trop allusive.

Hannah Arendt. Du devoir de la désobéissance civile, d’Ada Ushpiz (All., 2015, 90 min).