La guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN) a annoncé, jeudi 2 février, avoir libéré l’un de ses otages, l’ex-député Odin Sanchez. Il s’agissait d’une condition préalable au lancement de pourparlers de paix avec le gouvernement colombien, mardi prochain à Quito, après des discussions préparatoires menées en secret depuis janvier 2014. Le gouvernement s’est engagé à gracier deux rebelles emprisonnés.

« La commission humanitaire de l’ELN a respecté sa parole en livrant M. Odin. Nous attendons maintenant nos deux graciés », a indiqué l’ELN dans un message diffusé sur le compte Twitter d’ELN Ranpal, la radio de cette guérilla.

Le gouvernement a confirmé la remise en liberté d’Odin Sanchez, ex-député de 61 ans du Choco (nord-ouest), retenu par la dernière guérilla active de Colombie depuis environ dix mois, dans la jungle de ce département le plus pauvre du pays. Il a aussi assuré qu’il gracierait deux guérilleros détenus à la prison de Palogordo, à Giron (département de Santander, nord-est), identifiés comme Nixon Cobos et Leivis Valero et qui, selon l’ELN, se trouvent « dans un état de santé délicat ».

L’ELN est aussi ancienne que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Mais elle est toujours restée « la deuxième guérilla » de ce pays andin, qui tente de mettre fin à un conflit armé vieux de cinquante-deux ans.

Au terme de quatre ans de négociations, les FARC ont signé en août 2016 un cessez-le-feu bilatéral définitif et, en septembre, un accord de paix. Les électeurs l’ont refusé d’une très courte majorité lors du référendum du 2 octobre. Un nouvel accord a été signé le 12 novembre, et approuvé par le Parlement en décembre.

  • Une guérilla inspirée par la théologie de la libération

Comme les FARC, l’ELN est née en 1964. Mais, à la différence de l’organisation communiste fondée par des paysans, l’ELN est issue du mouvement étudiant. La révolution cubaine enflamme à l’époque l’Amérique latine. Et la théologie de la libération (courant de pensée chrétienne prônant la libération des peuples et inspirée du marxisme) séduit les catholiques soucieux de justice sociale. Ce double héritage marque encore l’organisation, empreinte d’un certain messianisme.

Des prêtres, des professeurs, des militants du traditionnel Parti libéral fascinés par la geste du Che Guevara rejoignent l’ELN qui, dans les régions où elle s’implante, maintient des liens étroits avec les organisations sociales de base. Le curé Camilo Torres, un professeur de sociologie converti au catholicisme et à la lutte armée, meurt en 1966 au cours de son premier combat. Il reste une figure emblématique de la gauche colombienne. De 1982 à 1998, l’ELN est dirigée par un curé espagnol, Manuel Pérez.

  • Déclin, rackets, enlèvements et attentats

Au début des années 1970, l’armée mène contre l’ELN une offensive d’envergure, à Anori, dans le département d’Antioquia (nord-ouest). L’organisation est pratiquement décimée. Elle renaîtra de ses cendres dix ans plus tard grâce à l’argent du pétrole.

Au nom d’une certaine morale, l’ELN a longtemps refusé de s’impliquer dans le trafic de drogue. Mais ses principes ne l’ont pas empêchée de pratiquer l’extorsion et les enlèvements à grande échelle. Les ingénieurs des compagnies pétrolières qui s’installent en Colombie dans les années 1980 sont les premiers visés. Pour racketter les entreprises, l’ELN multiplie également les attentats contre l’infrastructure pétrolière, sans souci des dégâts écologiques causés.

Au début des années 1990, l’ELN compte quelque 6 000 combattants, qui sont alors aussi actifs que les FARC, selon les statistiques officielles. L’entrée en scène des milices paramilitaires qui pratiquent guerre sale et massacres, avec la complicité plus ou moins ouverte de l’armée, va changer la donne.

Le conflit dure et les principes cèdent. Depuis la fin des années 1990, les « elenos », comme on appelle les combattants de l’ELN, se disputent avec les FARC le contrôle des routes et l’intermédiation du trafic de cocaïne en Arauca, dans l’est du pays.

  • Les relations entre l’ELN et les FARC

L’Armée de libération nationale se dit marxiste-léniniste, comme les FARC. Mais ses membres entretiennent avec le dogme des liens beaucoup plus distendus. Et aucune relation avec le Parti communiste. A la différence des FARC, qui se veulent une armée disciplinée et visent la prise du pouvoir, l’ELN est très horizontale et décentralisée dans son fonctionnement. L’ELN se pense en organisation de base qui participe, avec le mouvement populaire, à la construction d’un projet politique. Comme le résume le chercheur Alejo Vargas, « les FARC sont une armée qui fait de la politique, l’ELN est un parti politique en armes ».

Au gré des circonstances, des époques et des régions, l’ELN et les FARC ont été tantôt alliées, tantôt rivales, voire ennemies. La guerre entre les deux organisations pour le contrôle de l’Arauca s’est soldée par des dizaines de morts.

  • L’ELN aujourd’hui

De source officielle, l’ELN compte aujourd’hui entre 1 000 et 1 500 combattants (contre 5 600 pour les FARC). Aujourd’hui âgé de 66 ans, le chef de l’organisation, Nicolas Rodriguez Bautista, alias « Gabino », a pris les armes adolescent. Il est membre du Commando central de l’ELN (COCE) depuis 1986.

L’organisation, qui a maintenu des liens avec les organisations locales, et notamment avec le syndicat pétrolier USO, dispose également d’un réseau de miliciens difficiles à chiffrer.

De source officielle, les « elenos » sont présents dans près de 80 municipalités (le pays en compte 1 122), essentiellement dans les départements d’Arauca, du Norte de Santander – à la frontière avec le Venezuela – et, dans une moindre mesure, du Casanare, du Choco, du Cauca et du Nariño.

Si l’accord avec les FARC devait finalement entrer en vigueur, d’aucuns craignent que l’ELN ne soit tenté d’occuper les territoires laissés vacants.

  • Des négociations toujours reportées

Les cinq derniers présidents de Colombie ont tous tenté de négocier avec l’ELN. Sans succès. « D’un côté, le gouvernement a souvent traité l’ELN en guérilla de deuxième classe, explique l’analyste Luis Celis. Il n’a jamais fait d’offre de proposition susceptible de convaincre les elenos qu’ils avaient avantage à négocier. De l’autre, les elenos peinent à se décider. Les débats internes de l’organisation freinent sa capacité d’initiative. Un secteur reste rétif aux négociations de paix. »

L’ELN a toujours fait une exigence de la participation de la société à la construction de la paix. « La formule est aussi séduisante que vague et difficile à mettre en œuvre », souligne le chercheur Frédéric Massé.

Sur le fond, l’ELN a fait du contrôle souverain des ressources naturelles une priorité. « La question de l’exploitation du pétrole et des ressources minières est à l’ELN ce que la reforme agraire est aux FARC », continue M. Massé.

Après deux ans de pourparlers exploratoires, gouvernement et ELN ont annoncé, le 30 mars 2016, l’ouverture officielle des négociations, presque aussitôt suspendues. Finalement programmée pour le 27 octobre, l’inauguration a été encore une fois reportée, le gouvernement exigeant la libération de tous les otages pour s’asseoir à la table des négociations.

Un « agenda » des négociations a d’ores et déjà été défini. Le premier point porte sur la « participation de la société à la construction de la paix ».

  • Des perspectives peu encourageantes

Les négociations s’annoncent difficiles. « Comment arriver à un accord avec une organisation dans laquelle tout le monde donne tout le temps son avis ? », s’interroge un haut fonctionnaire. Les commandants de base jouissent d’une grande autonomie et n’obéissent pas au COCE. « Les elenos vont tenter d’obtenir plus que les FARC, alors même que le gouvernement entend lâcher beaucoup moins », ajoute Frédéric Massé.

Les négociations avec l’ELN s’annoncent d’autant plus délicates qu’elles s’engagent avec un gouvernement fragilisé par la victoire du non au référendum du 2 octobre. La marge du gouvernement Santos est réduite. A moins d’un an et demi de la prochaine élection présidentielle (mai 2018), le temps manque. Et l’ELN ne semble pas s’en soucier.