Les policiers israéliens sont arrivés en masse, par colonnes bleues. Les unités d’intervention, prévues en cas d’émeutes, sont restées en retrait. Aucun véhicule blindé. Ceci n’était pas une opération classique en Cisjordanie, chez les Palestiniens. Cette fois, les policiers, jeunes et non armés, ressemblaient à des stadiers. A un rythme de tortue, scrutés par les caméras et les téléphones portables, ils se sont déployés au sommet de la colline d’Amona, fouettée par un vent glacial, à une trentaine de kilomètres au nord de Jérusalem. Onze heures sonnaient, mercredi 1er février, et l’évacuation des quarante-deux familles vivant dans cette colonie sauvage, illégale même au regard du droit israélien, pouvait commencer. Soit plus de deux ans après la décision en ce sens de la Haute Cour de justice. Une application bien tardive de la loi, qui ne change rien à la lame de fond de la colonisation, accélérée par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.

Mercredi, Amona présentait son ultime dramaturgie. Tous les acteurs tenaient leur rôle sans nourrir le moindre doute sur le dénouement. Les maisons mobiles devaient disparaître de ce flanc de colline. Pour la plupart, elles étaient déjà vides avant la confrontation finale. Toutes les familles avaient prévu depuis plusieurs mois une solution de repli, même provisoire, chez des proches ou bien en louant à Ofra, la colonie en contrebas. Mais des centaines de jeunes, originaires d’autres communautés juives en Cisjordanie, ont afflué pour défendre le symbole qu’est devenu Amona : celui de leur aspiration à construire partout, à annexer la « Judée-Samarie », appellation biblique de ces terres palestiniennes de moins en moins vouées à devenir un Etat. Le dernier carré, soit quelques dizaines de personnes, était barricadé jeudi matin dans la synagogue.

Bordées d’injures

« Honte à vous ! C’est la terre d’Israël ! », lance un jeune colon à la voix éraillée, à la fenêtre de l’une des maisons. Les policiers doivent les évacuer un à un, en portant les révoltés. Sur les toits, des veilleurs surveillent l’avancée des 3 000 hommes bleus. Bonnet noir, lunettes rectangulaires, Elroi Cohen, 19 ans, est l’un de ces jeunes radicaux. La nuit précédente, pour échapper à la vigilance de la police qui avait fermé la route, il a escaladé les flancs de la colline. Bientôt, il effectuera son service militaire ; mais à cet instant, il regarde avec incompréhension ces policiers. « Il existe des ordres illégaux, dit-il. Si un commandant vous disait de brûler un drapeau israélien, vous ne lui obéiriez pas. Ça devrait être la même chose ici. »

Il y eut des pleurs et des cris, des bordées d’injures adressées aux policiers par cette jeunesse juive fanatique. Il y eut des barrages de fortune dressés dans la nuit, mais aussi des jets de pierres et de peinture. Il y eut une vingtaine de policiers blessés légèrement, et une douzaine de colons arrêtés. Mais les consignes de retenue passées aux forces de l’ordre furent appliquées à la lettre. Il s’agissait d’éviter les images dramatiques de l’intervention de 2006 au même endroit, décidée pour détruire une poignée de maisons déjà jugées illégales.

Depuis, l’avant-poste a nourri la chronique politique et judiciaire d’Israël. Amona devait être démantelé avant le 25 décembre 2016. Le gouvernement Nétanyahou avait finalement arraché un délai supplémentaire de quarante-cinq jours, en proposant aux familles d’être relogées, tous frais payés, sur des parcelles voisines, sur la même colline. Les colons d’Amona ont cru à la parole donnée, alors que les lots étaient, encore une fois, des terres privées palestiniennes. Mercredi en fin de journée, la Haute Cour de justice a donné raison à l’ONG Yesh Din, qui représentait les propriétaires palestiniens. Mais peu après, Benyamin Nétanyahou annonçait qu’il formait un groupe de travail en vue de la création, dès mars, d’une nouvelle colonie, la première depuis plus de vingt ans, qui accueillera les délogés.

Deux plans massifs de constructions

A la fois visé par plusieurs enquêtes pour corruption, pressé par la droite nationale religieuse et libéré par le départ de Barack Obama, M. Nétanyahou s’est lancé dans une fuite en avant au profit des colons. Shilo Adler, le président du Conseil de Yesha, qui représente les 380 000 colons de Cisjordanie, considère la fin d’Amona comme une « mauvaise histoire » qui ne traduit pas la tendance générale. « Pendant huit ans, Obama ne nous a pas laissés construire, dit-il. Maintenant, nous nous préparons à la visite de Nétanyahou chez Trump, le 15 février. C’est un moment historique. Il faut coincer Nétanyahou pour qu’il comprenne. On l’a élu, il doit prendre ses responsabilités. »

Le premier ministre donne déjà des gages sans précédent à cette base, en ayant annoncé, en dix jours, deux plans massifs de construction, de 2 500 logements, puis de 3 000 mardi. Beaucoup se situent au-delà des blocs de colonies censés être intégrés à l’Etat d’Israël en cas de règlement avec les Palestiniens. M. Nétanyahou a aussi donné son feu vert à l’adoption en lecture finale à la Knesset du projet de loi, hautement controversé, légalisant les avant-postes. Promis à la censure de la Haute Cour de justice par les experts, il blanchirait rétroactivement 3 850 constructions illégales, selon l’ONG La Paix maintenant.