Dans les locaux de Tezea, à Pipriac (Ille-et-Vilaine). | Sofien Murat

Il y avait beaucoup de joie et d’émotion, parfois ponctuées de larmes, le 9 janvier dernier lors de la signature des CDI des sept premiers salariés de Tezea, entreprise à but d’emploi créée sous forme associative à Pipriac (Ille-et-Vilaine). « On s’est tellement battus, ça fait du bien au moral, c’est super ! », témoigne, très émue, Marie-Hélène Marand, 55 ans, à l’heure de signer son contrat d’hôtesse d’accueil dans les locaux de l’ancienne école de la ville, devenue le site provisoire de Tezea. Pour celle qui vivait jusque-là de petits boulots, retrouver une vie active va tout changer : « Je vais pouvoir rencontrer du monde. Avant je ne voyais personne… » Et de se réjouir de renouer avec un emploi pérenne : « Ça va représenter un peu plus de liberté, plus de bien-être pour la famille, et un plus financier qui me permettra de faire à nouveau des projets ! »

Pour la plupart des chômeurs embauchés ce jour-là, la signature d’un CDI signifie la fin de la galère et le début d’une nouvelle vie. « Cela va nous donner la possibilité de recréer du lien social, de retrouver une certaine dignité et le respect des autres », résume Florence Bouvier, 53 ans, de la commune voisine de Saint-Ganton. Pour cette future gestionnaire des ressources humaines de Tezea, « le travail, c’est indispensable pour être reconnu dans la société ».

Pipriac (3 700 habitants) et Saint-Ganton (425 habitants) : deux petites communes d’Ille-et-Vilaine, paisibles et riches en commerces mais confrontées à un fort chômage structurel : sur ce territoire rural, on compte pas moins de 170 demandeurs d’emploi de longue durée (c’est-à-dire inscrits depuis plus d’un an à Pôle emploi). Ce n’est donc pas un hasard si le maire de Pipriac, Marcel Bouvier (DVD), s’est porté volontaire pour figurer parmi les dix zones où va être expérimenté un nouveau dispositif d’embauche des chômeurs au long cours nommé territoire zéro chômeur de longue durée.

Porté depuis 2011 par l’association ATD Quart-Monde et soutenu par le député (PS) de Côte-d’Or Laurent Grandguillaume, le projet s’est officialisé le 29 février 2016 avec l’adoption d’une loi votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat. Son but ? « Rediriger les coûts de la privation d’emploi (RSA, CMU, etc.) [entre 15 000 et 20 000 euros par personne et par an] pour financer des emplois répondant à des besoins locaux en assurant de bonnes conditions de travail », explique Denis Prost, d’ATD Quart-Monde. Pour ce responsable du projet en Ille-et-Vilaine, « bien plus qu’un dispositif, c’est l’ensemble d’un territoire qui se mobilise. Tous les acteurs locaux ont participé au projet ».

« Remettre le pied à l’étrier »

« Un pari loin d’être gagné d’avance », reconnaît cependant Jacques Cario, l’un des deux coprésidents de Tezea. Au départ sceptique sur le projet, ce consultant et formateur en informatique dans l’agglomération rennaise s’est progressivement laissé convaincre jusqu’à le défendre aujourd’hui sans réserves.

L’entreprise prévoit de débuter ce mois-ci les prestations pour ses clients. Lesquelles ? « Faire des travaux dans les espaces naturels, assurer des courses pour les garagistes, emmener les voitures au contrôle technique », commence à énumérer Denis Prost, avant de préciser : « Les salariés ne prennent le travail de personne puisqu’on propose des services qui n’existaient pas jusqu’à présent. » Financée par des recettes publiques nées de la réaffectation des coûts liés à la privation d’emplois et par la vente de ses prestations, Tezea prévoit de recruter d’ici l’été environ 65 salariés sur l’ensemble du territoire de Pipriac et de Saint-Ganton.

« C’est un tremplin pour remettre le pied à l’étrier. Aujourd’hui, avec ce poste d’hôtesse d’accueil, j’ai vraiment repris confiance, témoigne tout sourire Lucie Laignier, éloignée du monde du travail depuis huit ans. Avant, j’ai travaillé dans une usine agroalimentaire et dans les services à la personne. Mais quand j’ai voulu retrouver un emploi après m’être arrêtée de travailler pour m’occuper de mes enfants, je n’ai rien trouvé ! »

Le regard des autres

Comme Lucie, la plupart des premiers salariés embauchés par Tezea insistent sur le côté démoralisateur du chômage. Pour Valérie Debray, 42 ans, ancienne aide à domicile de Saint-Ganton, au chômage depuis six ans, ce projet est l’aboutissement d’une reconnaissance. « Je ne fais plus partie des “fainéantes” maintenant », affirme-t-elle avec joie. Et de revenir sur sa longue période d’inactivité : « Une fois, à l’école, ma fille a dit : “Je voudrais faire comme ma maman : rien !” Ça marque quand vous entendez cela ! » Embauchée comme gestionnaire d’accueil, elle se réjouit du fait qu’elle n’aura plus à supporter le regard des autres. Un constat partagé par Karine Bougard, 48 ans, originaire de Vendée, arrivée à Pipriac en 2015 : « On a l’impression d’être rejeté quand on est au chômage. » Cette future gestionnaire des achats résume de manière positive sa propre expérience du projet : « On est content de venir aux réunions, on se sent utiles. »

Au total, 14,9 millions d’euros ont été alloués par l’Etat pour expérimenter le projet à l’échelle nationale. L’objectif de cette première étape de cinq ans est de démontrer la faisabilité économique du dispositif. En espérant une deuxième loi qui le généraliserait à toute la France.

Paroles de sans-voix, un projet original

Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas – ou si peu – dans le débat public, et ce à l’approche des échéances électorales que l’on sait : c’est la raison d’être du projet éditorial Paroles de sans-voix, fruit d’un partenariat entre Le Monde, l’Association Georges-Hourdin (du nom du fondateur de l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde) et cinq associations actives dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Amnesty International, ATD Quart Monde, Cimade, Secours catholique, Secours islamique).

Autre aspect original de l’opération : les articles sont rédigés – et les vidéos tournées et montées – non par la rédaction du Monde mais par l’équipe des Reporters citoyens, des jeunes issus de quartiers populaires d’Ile-de-France qui ont suivi une formation gratuite au journalisme multimédia.

Sofien Murat (Reporter citoyen)