Benoît Hamon, visitant le lieu de création TCRM Blida, à Metz, le 3 février. | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

A peine débarqué en gare de Metz, vendredi matin, Benoît Hamon est pris au pied de la lettre par les passants qui le reconnaissent. « Monsieur Hamon, si vous donnez les 750 euros, je dis chapeau ! », le hèle un homme dans le hall du bâtiment. « Monsieur Hamon, j’ai voté pour vous », lui lance un autre sur le parvis. « Merci, c’est cool », lui répond le candidat. « Oui, mais tenez vos promesses, hein ? », le presse son interlocuteur.

Le député des Yvelines a remporté – nettement - la primaire à gauche face à Manuel Valls, grâce entre autres à sa proposition de créer un « revenu universel d’existence ». Pour les socialistes qui le critiquent, il a gagné en « vendant du rêve ». Désormais candidat à l’élection présidentielle, il va devoir passer du rêve à la réalité. Vaste programme : aucun de ses deux supporters messins, la quarantaine bien tassée, ne touchera déjà son revenu universel dans les prochains mois, s’il devait être élu en mai. La mesure est réservée, « dans une première étape », aux 18-25 ans. Pas sûr que l’information leur soit parvenue…

Pour son premier déplacement en province, avant son investiture officielle dimanche à Paris, Benoît Hamon a choisi d’arpenter l’est de la France. La Moselle, Forbach, Folschviller… Des territoires frappés à la fois par la crise économique, le chômage et la poussée continue dans les urnes du Front national. Une France qui souffre et qui se cherche, où l’ancien ministre de l’éducation nationale, souvent taxé d’être le candidat des « bobos », vient pour parler emploi, investissement, nouveau modèle de développement…

« Un haut niveau de protection des Français »

Mais à peine arrivé en Moselle, sa visite est percutée par l’attaque à Paris contre des militaires de l’opération Sentinelle patrouillant devant le Carrousel du Louvre. Fini le rêve, place au dur retour à la réalité de la menace terroriste. Un domaine ultra régalien auquel l’image politique de Benoît Hamon est peu associée. Campagne présidentielle oblige, le voilà qui doit réagir en direct alors qu’il visite une entreprise d’étalonnage d’appareils électroniques de pointe, et dispose de peu d’informations. Avec un impératif : faire crédible et rassurant.

« D’abord, je tiens à saluer le courage des militaires », déclare Benoît Hamon, en bon politique. Prudent, il répète son discours de la primaire sur la lutte antiterroriste : « Cela illustre le besoin d’un renseignement efficace pour protéger les Français » ; « il faut être implacable dans la lutte contre ceux qui menacent la France », etc. Du classique.

Plus délicat, Benoît Hamon a expliqué durant la campagne que l’état d’urgence ne pouvait être prolongé indéfiniment. Interrogé, sous le ciel plombé de Moselle, pour savoir s’il persiste, le candidat élude. « Je maintiendrai un haut niveau de protection des Français aussi longtemps que nécessaire », explique-t-il sans prononcer l’expression « état d’urgence ».

En aparté, il précise qu’il ne fera pas de « la surenchère électorale dans un domaine où le risque zéro n’existe pas, où on peut assurer la sécurité des Français au maximum, mais où on ne peut pas assurer qu’il n’y aura pas d’autre attentat ». Il entend porter « l’effort budgétaire des moyens de sécurité et de défense à 3 % du PIB » sur le prochain quinquennat.

Terrain sûr

Mais pas question d’en rajouter dans le tout sécuritaire. « On a déjà un arsenal juridique complet, on n’a pas besoin d’une loi en plus, ajoute-t-il. C’est une question d’organisation, qui demande une meilleure coopération entre les services de renseignements français et européens. Mais les Français vivent tous les jours avec la menace, quand ils vont au théâtre, au cinéma, dans les grandes surfaces ».

Benoît Hamon, candidat en rodage, est bien plus à l’aise sur le terrain social ou culturel. Comme quand il est interviewé par la webradio Banlieuesarts.net, à la mairie de Forbach. La même qui avait interrogé Emmanuel Macron quand celui-ci était venu en Moselle en novembre. Au micro, l’élu de Trappes déroule : revenu universel, défense de la « mixité sociale et scolaire », brigade de lutte contre les discriminations, refus de « parier sur le tout carcéral » pour combattre l’insécurité… il est en terrain sûr. Comme à la friche culturelle « TCRM Blida », à Metz, où créateurs, vidéastes, artistes innovent. « Le futur désirable que je veux porter s’incarne ici, dans les start-up, la création, la culture où ça foisonne », détaille-t-il, avant d’ajouter comme une incantation, « je pense que tout ira mieux demain ».

A ses côtés tout au long de la journée, les députées de Moselle Aurélie Filippetti et Paola Zanetti, anciennes frondeuses à l’Assemblée nationale. Le maire de Forbach et député du département, Laurent Kalinowski, qui s’était opposé à la loi travail, lui lance, enthousiaste : « Tu sais, Benoît, François Hollande est venu à Forbach deux jours avant d’être élu, en 2012. C’est un bon passage de témoin. » Pas sûr que le candidat goûte la comparaison, lui qui cherche à marquer une distance avec le chef de l’Etat.

Dans le cortège, plusieurs élus socialistes ne cachent pas que sa victoire à la primaire leur laisse un goût amer. Dominique Gros, maire de Metz, soutenait Manuel Valls. « Parce qu’il avait l’expérience nationale et locale, à Evry », précise l’élu. La qualification du député des Yvelines l’a « surpris ». « Hamon a réussi à se faire passer pour quelqu’un de nouveau alors que c’est un apparatchik depuis trente ans. Mais il a gagné, donc c’est mon candidat. Je vais faire sa campagne, on verra bien… », admet l’édile.

Pas de « dab » au final

Plus loin, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, ancien sénateur de Moselle et proche de François Hollande, promet que le PS « a une culture de rassemblement », mais appelle Benoît Hamon à « savoir faire les bons gestes ». Critiques certes, mais pas désintéressés. Les mêmes jouent des coudes pour apparaître derrière le nouveau champion devant les photographes et les caméras de télévision. Aussitôt élu, le candidat surprise s’est envolé dans les sondages. Alors on ne sait jamais, mieux vaut ne pas insulter l’avenir…

Avant de quitter la mairie de Forbach, les animateurs de Banlieuesarts.net montrent à Benoît Hamon une photo du footballeur français Paul Pogba, en train de faire son fameux « dab », et l’invitent à le copier. « C’est un geste de victoire ! », lui précisent-ils. « Je suis obligé de faire ça pour gagner ? », interroge le candidat, dans un éclat de rire. Mais il garde les bras bien croisés. Pas de « dab » au final pour Hamon. Désormais, il doit faire président.