EMMANUEL KERNER

Doyen de la faculté de ­médecine de Lille-2, ­Didier Gosset l’affirme haut et fort : « Le passage de l’examen classant ­national [ECN] sur ­tablette est une révolution. » Depuis l’année dernière, la version papier de cet examen, un passage obligatoire pour tous les étudiants en médecine qui permet de ­répartir les 8 000 internes dans les différentes spécialités, a été remplacée par des épreuves informatisées. Il est désormais surnommé l’examen classant national informatisé (ECNi).

Cela faisait trois ans que le Centre national de gestion (CNG), chargé par le ministère de la santé d’organiser l’ECN, préparait cette transformation numérique avec les 35 facultés. Avant l’examen de juin, des tests nationaux ont été réalisés. Las ! Le premier, en décembre 2015, a été un échec : « L’examen a duré cinq minutes à cause d’un problème de configuration du serveur qui était sous-dimensionné », se souvient Olivier Palombi, professeur d’université et praticien hospitalier à l’université Grenoble-Alpes et chargé de mission numérique à la conférence des doyens de médecine. Après un nouveau test, pas plus concluant, un troisième a enfin permis de valider le processus.

« Promo crash test »

Autant d’essais qui ont rendu cette ­année d’examen encore plus stressante que d’habitude pour la plupart des étudiants : « L’ECN détermine le choix de ­notre spécialité, c’est-à-dire quarante ans de carrière professionnelle », souligne ­Nicolas Perolat, interne en médecine ­générale issu de cette « promo crash test », comme les étudiants se sont eux-mêmes surnommés. « Nous avons servi de cobayes », lâche-t-il, regrettant de ne pas avoir eu « de véritable ECN blanc, mais seulement des tests techniques ».

Malgré ces bugs, « l’ECN de juin s’est bien déroulé. C’est le résultat qui compte », se félicite de son côté Philippe Touzy, chef du département concours du CNG. Un test, dit « ECN complémentaire », aura également lieu cette année pour s’assurer que le système fonctionne toujours correctement.

Réunion du « petit staff » au CHU Bretonneau de Tours dans le service d'onco-hématologie et thérapie cellulaire du Professeur Emmanuel Gyan. Les aide-soignantes, infirmières et médecins échangent à ce moment sur les patients. | CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Loin de se cantonner à la dimension technique, le nouvel examen procède aussi d’une« véritable réflexion ­pédagogique », indique Antoine Tesnière, vice-doyen de la faculté de médecine de ­Paris-Descartes et président du conseil pédagogique. La nature même des épreuves a évolué : on compte désormais deux ­lectures critiques d’articles au lieu d’une seule, et surtout dix-huit dossiers cliniques de quatorze ou quinze questions chacun, contre neuf dossiers de sept questions en moyenne auparavant. A cela s’ajoutent 120 questions isolées. « L’idée était d’augmenter le nombre d’items afin de pouvoir mieux départager les candidats, explique le professeur. Car au milieu du classement, un millième de point pouvait suffire à déterminer le choix de la spécialité. »

Des ajustements à venir

Sur le fond, l’introduction de la progressivité dans les dossiers cliniques ­apparaît à beaucoup comme une réelle avancée. En effet, comme il est désormais impossible pour un étudiant de ­revenir en arrière après avoir répondu à une question, les informations peuvent être dévoilées au fur et à mesure. « C’est plus évolutif et plus fidèle à la réalité de la prise en charge d’un patient », apprécie Antoine Tesnière.

Néanmoins, des ajustements ­devraient être apportés dans les années à venir, car les nouvelles épreuves ne sont pas à la hauteur des attentes. Des chercheurs de l’université de Bordeaux ont notamment montré qu’un quart des questions étaient « discutables ou non pertinentes » et pointé le très faible écart qui sépare toujours les candidats classés entre la 1 000e et la 6 000e place. Didier Gosset ­regrette aussi que le travail soit « un peu prémâché : avant, on demandait au candidat de rédiger un diagnostic. Aujourd’hui, on lui demande de choisir entre plusieurs ».

« Pour les scanners, nous n’avions qu’une seule photo, et non plusieurs vues de coupes différentes comme à l’hôpital.»Nicolas Perolat, interne en médecine ­générale

En outre, si le numérique permet d’introduire des images de bien meilleure qualité que le papier, les fichiers sont aussi très lourds à charger et les organisateurs n’ont pas voulu risquer d’induire un nouveau bug. Résultat : tout le potentiel du numérique est loin d’avoir été ­exploité. « Pour les scanners, nous n’avions qu’une seule photo, et non plusieurs vues de coupes différentes comme à l’hôpital, ­relate Nicolas Perolat. On aurait aussi pu avoir des vidéos pour détecter un trouble de la marche, ou des fichiers audio permettant de vérifier si une auscultation ­cardiaque est normale ou pas. »

De telles évolutions sont à l’étude pour les années à venir, mais « pas avant deux ans », prévient Philippe Touzy. A Grenoble, Olivier Palombi reste optimiste : « Le multimédia va permettre de proposer des épreuves plus riches. Certains outils sont en train d’être développés, par exemple la possibilité de légender une image, de pointer une structure sur une radiographie, ou d’indiquer quel est son degré de certitude dans la réponse donnée, détaille-t-il. A plus long terme, on peut même imaginer une consultation simulée avec un patient virtuel qui répondra grâce à un logiciel d’intelligence artificielle… » Ce qui permettrait d’évaluer les connaissances théoriques comme le fait l’ECN, mais aussi les compétences ­cliniques, une dimension fondamentale dans la formation des ­futurs médecins.

Des passerelles pour éviter le concours

Rapprocher les formations paramédicales de l’université : voilà ce qu’avait annoncé Manuel Valls en février 2016, lors de la grande conférence de la santé. Concrètement, cela se traduit par la possibilité, pour les professionnels diplômés (kinésithérapeutes, orthophonistes…) qui souhaitent reprendre des études médicales, de rejoindre le cursus directement en deuxième et troisième années : des passerelles leur évitent depuis la rentrée 2016 de passer le concours de la première année commune aux études de santé (Paces).

D’autres mesures concernent le statut des étudiants paramédicaux avec l’alignement des droits sur ceux des autres étudiants (pour les bourses, le logement, la restauration collective…) et les formations elles-mêmes : à partir de la rentrée 2017, certains cours seront mutualisés et des stages interprofessionnels organisés pour faciliter les échanges entre les différents professionnels de santé. Par la suite, de nouvelles formations publiques doivent être créées. L’objectif étant à terme d’intégrer les filières paramédicales à l’université.