Carrefour Nelson-Mandela, 19 h 49, à Douala, capitale économique du Cameroun. Les bars situés tout au long de la rue sont bondés. Quelques retardataires pressent le pas pour trouver un siège avant le coup d’envoi du match Cameroun-Ghana, seconde demi-finale de la 31e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui se déroule au Gabon. Certains arborent des tee-shirts, chapeaux, bracelets et colliers aux couleurs des Lions indomptables. Au milieu des prostituées qui interpellent sans vergogne les clients et des « braiseurs » de poulets et de porc, d’autres défilent avec leurs drapeaux tenus bien haut.

Au comptoir du Madiba, les commandes de bières s’enchaînent. Le portrait de Nelson Mandela est accroché au mur, à côté d’un vieux poste de télévision qui capte la Cameroon Radio and Television (CRTV), média d’Etat. Sur les images, on y voit les Lions, en survêtement, s’échauffer. Acclamations dans le bar. « Allez-les gars ! Aujourd’hui, c’est le grand jour. Montrez-nous que vous n’êtes pas arrivés ici par hasard ! », crie Armel Fotso, cheveux nattés, tatouages sur les biceps, débout devant l’entrée. Sur les visages, il y a un mélange de peur et de certitude. « Sur le papier, les Ghanéens sont les plus forts. Sur le terrain, nos joueurs sont jeunes et puissants », veut croire un supporter un peu éméché.

« On veut des buts ! »

20 heures : le match est lancé. Silence dans le bar plein à craquer. Sur le terrain, les poulains de Hugo Broos ne lâchent pas prise, ce qui ramène un peu de sourire sur les visages tendus. « Ces petits sont forts. Regardez Ondoa, la bombe », lance Roméo, en caressant sa barbe tout en pestant contre la CRTV qui diffuse des images qui « cliquent-claquent ». Les supporters demandent en vain un changement de chaîne. Heureusement, Benjamin Moukandjo multiplie les attaques. La possession de balle est camerounaise. Applaudissements !

« L’essentiel n’est pas de bien jouer ou de multiplier les occasions de buts, s’inquiète un supporter, chapeau tricolore sur la tête, encore hanté par les défaites du Sénégal et du Burkina Faso. Il faut marquer. On veut des buts ! On ne veut pas de prolongations ! » Les minutes passent et le score reste toujours vierge.

Dehors, quelques prostituées présentent des signes d’ennui : elles manipulent leurs téléphones portables, aux aguets. C’est la mi-temps et le carrefour s’anime. « Pas le temps de faire une passe pendant la pause, blague un quadragénaire, bière à la main. J’ai soif de victoires. Même si Fabrice Ondoa est fort, il ne faut pas qu’on aille aux prolongations. »

Coup de sifflet libérateur

21 h 02. Les supporters ne tiennent plus en place. Ils se lèvent à chaque occasion, pestent contre l’arbitre qui « aime trop » le Ghana. Au fond du bar, un jeune homme prie discrètement. A la 73e minute, c’est la délivrance. Enfin. « Michael Ngadeu a marqué ! Tu es fort mon petit ! », hurle la salle.

« Le Ghana ne peut plus rien », s’enorgueillit Armel en forçant la voix pour se faire entendre de tous. Dans le temps additionnel, Christian Bassogog creuse l’écart : 2-0. On n’osait pas l’espérer. Le Cameroun est en finale. Sans attendre le coup de sifflet libérateur, le bar commence à se vider. Dans les rues, des cris de joie raisonnent. Avec des couvercles de marmites, de sifflets, on s’entasse sur des motos, dans des taxis et des camions, le Cameroun crie sa joie. Des femmes courent dans tous les sens en chantant : « On a gagné, on a gagné ! », du chanteur star Petit-Pays.