Les manifestants se sont rassemblés devant le Parlement, à Bucarest, le 4 février. | ANDREI PUNGOVSCHI / AFP

La pression conjuguée de la rue, de l’ensemble du système judiciaire roumain et des chancelleries européennes l’a poussé à lâcher un peu de lest. Samedi 4 février, pour la première fois en cinq jours de protestations aussi massives que spontanées, le chef du Parti social-démocrate roumain (PSD), Liviu Dragnea, a évoqué un retrait des ordonnances adoptées en catimini le 31 janvier et qui prévoient un affaiblissement des lois anti-corruption. « On peut éventuellement parler d’abroger l’ordonnance si le Premier ministre l’accepte », a expliqué celui qui est le véritable homme fort du pouvoir roumain depuis sa large victoire aux législatives du 11 décembre 2016. Des consultations au sein de la coalition ont été lancées dans la foulée en début de soirée.

Empêché par la loi roumaine de devenir premier ministre en raison d’une condamnation pour fraude électorale, M. Dragnea est la principale cible des manifestants qui ont protesté par centaines de milliers dans toutes les villes du pays ces derniers jours. Actuellement en procès pour détournement de fonds publics, il serait de fait un des principaux bénéficiaires des ordonnances qui doivent entrer en vigueur le 10 février. Celles-ci prévoient l’instauration d’un seuil de 44 000 euros pour déclencher des poursuites pénales pour « abus de pouvoir », l’infraction pour laquelle il est mis en cause pour une somme inférieure. Il sera immédiatement acquitté si les ordonnances ne sont pas révoquées d’ici cette date. De quoi lui permettre de devenir premier ministre s’il arrive en plus à faire annuler sa condamnation pour fraude électorale, comme il a déjà déclaré en avoir l’intention.

« On va continuer de manifester »

Parmi les quelques milliers de manifestants qui étaient rassemblés devant le siège du gouvernement samedi après-midi, la prudence était toutefois de mise après ces annonces. « On va continuer de manifester jusqu’à ce qu’une révocation soit inscrite noir sur blanc, l’intégrité [de Liviu Dragnea] est très douteuse », promettait ainsi Alex Milea, un médecin de 33 ans, qui était dans la rue pour le cinquième jour consécutif. Les manifestations sont organisées le soir et des dizaines voire des centaines de milliers de Roumains étaient encore attendus dans les rues samedi soir et surtout dimanche. Les manifestants défilent avec des caricatures s’en prenant au « parrain » Dragnea, ils sont souvent drapés dans des drapeaux roumains et européens. « Ils peuvent dire quelque chose ce soir et autre chose demain » expliquait un ingénieur informatique qui comptait bien continuer de protester.

Cette vague de contestation inédite depuis la révolution roumaine de 1989 a montré que la jeunesse roumaine est désormais prête à se mobiliser massivement face à la corruption qui ronge le pays, après avoir longtemps préféré partir à l’ouest. « Je veux rester ici et redresser le pays, toute ma famille est ici, qui va rester si tout le monde part ? », explique ainsi Alex Milea. Mais la contestation est allée au-delà de cette jeunesse urbaine et proeuropéennes, puisque des manifestations monstres ont aussi été signalées dans les fiefs traditionnels du PSD, qui peut d’habitude compter sur son électorat plus âgé et rural. Avec 45,5 % des voix obtenus lors des législatives, ce parti qui domine la vie politique sous différente forme depuis la révolution dispose d’une confortable majorité au Parlement.

Défections dans les rangs du PSD

Ces derniers jours, les dirigeants du PSD avaient même menacé de faire venir des contre-manifestants depuis les campagnes et M. Dragnea a expliqué que c’était pour éviter des affrontements qu’il a choisi de rouvrir les discussions sur les ordonnances. « Je ne peux plus retenir la pression du parti dans tout le pays qui pourrait pousser un million de personnes dans les rues. Je ne veux pas d’un conflit qui oppose les Roumains », a-t-il défendu, en accusant les opposants d’être manipulés par le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros. Plusieurs membres du gouvernement et du PSD avaient pourtant fait défection ces derniers jours. « J’ai vu les propres enfants des députés PSD dans les cortèges de ma ville. Il n’y avait aucune urgence qui justifiait une telle procédure », explique au Monde le maire PSD de Iasi, dans le nord du pays, qui a appelé au retrait des ordonnances. Le ministre de l’entrepreneuriat avait également démissionné jeudi pour protester contre ce passage en force.

Les ordonnances, adoptées sans aucune consultation ni débat au Parlement, avaient également suscité un tir de barrage massif du corps judiciaire roumain, en première ligne ces dernières années dans la lutte contre la corruption qui a abouti à la condamnation de centaines de responsables politiques. Le procureur général, le conseil supérieur de la magistrature, le parquet anti-corruption ont tous publiquement pris position contre les textes. Opposé à la mesure, le président libéral Klaus Iohannis a lui saisi la cour constitutionnelle roumaine. Celle-ci doit se prononcer dans les prochains jours. Les ambassades des principaux pays européens, des Etats-Unis, ainsi que la Commission européenne, ont également fait part de leur vive préoccupation.