« Le Tournoi, c’est une compétition qui va tellement vite que, parfois, on peut avoir des grandes surprises. Il y a toujours un effet yoyo qui peut être présent, et une remise à zéro à chaque édition », rappelle Fabien Galthié, trois grands chelems et neuf Tournois au compteur entre 1992 et 2003.

En ajoutant à cela un peu d’arithmancie, puisque les Bleus sont sacrés chaque année en 7 depuis cinquante ans, on se prendrait presque à croire au destin de cette équipe de France. Une lueur d’espoir qui pourrait toutefois s’éteindre rapidement, le calendrier de l’édition 2017 ayant placé le dessert en entrée avec le crunch Angleterre-France dès la première journée, samedi 4 février.

Les tricolores à l’entraînement, le 31 janvier à Marcoussis. | FRANCK FIFE / AFP

  • Le réveil du Coq ?

« L’équipe de France, elle est là pour gagner », insistait, à la fin janvier à Marcoussis (Essonne), Bernard Laporte, le président de la Fédération française de rugby (FFR), et accessoirement ancien sélectionneur du XV tricolore (1999-2007).

Affirmer le contraire serait surprenant, même pour une équipe qui, depuis cinq ans, a toujours terminé dans les trois derniers du classement final.

« Mais je sais aussi la complexité des années impaires, rappelle Bernard Laporte, avec deux déplacements chez deux candidats au titre [l’Angleterre et l’Irlande], ce qui n’empêche pas qu’on doive avoir la détermination de gagner le tournoi. » Comme leur président, les joueurs tentent de naviguer entre ambition et réalisme. « Il faut aller sans complexes » en Angleterre, en ouverture du Tournoi, samedi, clame par exemple le deuxième-ligne du XV de France Sébastien Vahaamahina.

Fin communicant, le sélectionneur national Guy Novès n’a pas oublié de rappeler que la Rose était actuellement « quasiment intouchable », puis de remettre une petite pique à l’intention de ses joueurs. « Honnêtement, je n’ai pas encore ressenti que notre équipe était étincelante, je ne la vois pas à son niveau de novembre [2016] », a ainsi affirmé Novès, jeudi à Marcoussis, après avoir annoncé la composition de l’équipe qui jouera à Twickenham samedi.

Les tests-matchs de novembre 2016, avec une victoire contre les Samoa (52-8), pour deux défaites, face à l’Australie (23-25) et aux Blacks (19-24), avaient fait naître un nouvel espoir.

« Nous partons tout à l’heure [jeudi en fin de journée]. Peut-être que, petit à petit, l’esprit [des joueurs] va se tourner vers Twickenham », a ajouté Novès, justifiant son ressenti par le nombre de « ballons tombés durant les entraînements cette semaine. » « Après, il y a toujours cette joie de vivre, cet état d’esprit génial, mais il faut quand même prendre conscience qu’on va taper sur du dur » samedi.

Comme l’équipe de France, l’Angleterre a été touchée par une vague de blessures, avec une partie des titulaires sur le flanc (les frères Vunipola, Robshaw, Kruis, Watson…). Mais au contraire de l’équipe de France, le XV de la Rose a des réserves, et une confiance au firmament. Treize victoires de rang pour l’Angleterre d’Eddie Jones, quatre succès et six défaites pour la France de Guy Novès. Ce qui peut aussi être une bonne nouvelle pour les Bleus, jamais plus forts que lorsqu’ils sont donnés battus d’avance.

Eddie Jones et ses joueurs, le 20 juin 2016. | WILLIAM WEST / AFP

  • La Rose veut faire du chiffre

Le XV de la Rose s’est vite et bien relevé de sa terrible désillusion du Mondial 2015, avec son élimination à domicile en phase de poules. Avec l’arrivée du coach australien Eddie Jones, les Anglais ont livré une copie parfaite en 2016, signant treize belles victoires de rang, battant toutes les grandes nations à l’exception de la Nouvelle-Zélande, qui n’était pas au programme.

Les All Blacks détiennent toujours le record de victoires à la suite (dix-huit), mais celui-ci pourrait vaciller pendant ce Tournoi, l’Angleterre étant à quatorze, en y ajoutant le dernier match du Mondial 2015 remporté contre l’Uruguay, du temps de Stuart Lancaster.

Jones s’est d’ailleurs largement appuyé sur le travail de son prédécesseur, conservant l’ossature du groupe et en lui ajoutant une touche de réalisme et de dureté. « L’Angleterre est revenue à un jeu plus basique : conquête, grosse défense, beaucoup d’occupation et de jeu au pied », décrit Jeff Dubois, entraîneur des arrières français. « [Les Anglais] sont très pragmatiques. Ce ne sont pas des génies en attaque, mais ce qu’ils font, ils le font super bien avec beaucoup de vitesse. »

Les partenaires de George Ford auront également à cœur de prendre seuls la tête du palmarès du Tournoi. Avec un nombre égal de victoires (37, en comptant les premières places partagées d’antan), Anglais et Gallois sont à égalité depuis 2016, même si l’Angleterre compte plus de grands chelems (treize contre onze).

L’Anglais Mike Brown face à l’Irlande, lors du Tournoi 2016. | Kirsty Wigglesworth / AP

Derrière le XV de la Rose, qui aura en outre l’avantage de recevoir trois fois, les Irlandais semblent les plus costauds. Vainqueur en 2014 et 2015, le XV du Trèfle a réalisé l’exploit de la tournée d’automne en venant à bout des maîtres néo-zélandais (40-29). Battu sans avoir à rougir par les champions du monde (9-21) lors du deuxième test-match à Dublin, il a bouclé novembre 2016 par une autre victoire de prestige sur l’Australie (27-24).

La sélection de Joe Schmidt semble donc un outsider plus sérieux que le Pays de Galles, lequel s’est incliné nettement contre les Wallabies (8-32) et a frôlé la défaite face au Japon (33-30). Attention tout de même au XV du Poireau, qui aura l’avantage de recevoir ses deux principaux adversaires à Cardiff.

L’Ecosse, également avantagée par le calendrier avec trois réceptions, pourrait sortir du bois pour la dernière de Vern Cotter à la tête de cette sélection. Sa tournée automnale encourageante fait dire au capitaine Greig Laidlaw que c’est « la meilleure équipe d’Ecosse » qu’il ait connue. Les performances de Glasgow, qualifié pour la première fois pour les quarts de finale de Coupe d’Europe, renforcent cette impression que le rugby calédonien est sur une pente ascendante.

  • C’est bonus

« Le bonus, c’est génial. Ça vous incite à ne pas simplement jouer pour la victoire, à en vouloir un peu plus », estime le Néo-Zélandais Dan Carter, habitué au système en place dans le Four Nations de l’hémisphère Sud, et que les organisateurs du Tournoi ont décidé d’instaurer en Europe à partir de cette année.

Le principe est le même que pour le Mondial ou la Coupe d’Europe : un point de bonus offensif pour quatre essais inscrits, un point de bonus défensif pour une défaite de 7 points ou moins, la possibilité de cumuler les deux, et un super bonus de trois points pour une équipe réussissant le grand chelem, histoire de lui assurer la première place et d’éviter que le système ne se retourne contre lui-même.

Les amateurs de beau jeu et de mathématiques devraient être servis avec ces bonus, que d’autres jugeront parfaitement artificiels, le système de partage à la différence de points ayant fait ses preuves depuis sa création, en 1993.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile, vous pouvez le consulter sur le site web

Autre point réglementaire non négligeable, qui pourrait réjouir les champions des passes après contact, la Fédération internationale a pris de nouvelles mesures, en vigueur depuis le début de l’année, pour lutter contre les plaquages hauts, ce afin de protéger l’intégrité physique des joueurs.

Deux nouvelles catégories sont même apparues, avec le plaquage dit « imprudent » – lorsque « le joueur savait ou aurait dû savoir qu’il y aurait un risque de contact avec la tête d’un adversaire, mais a délibérément continué son action » – et le plaquage accidentel – « si le joueur entre en contact de manière accidentelle avec la tête d’un adversaire, soit directement, soit si le contact commence au-dessous de la ligne des épaules, le joueur peut toujours être sanctionné ».

Avis aux enthousiastes, les pénalités et cartons jaunes ou rouges pourraient se multiplier si ce Tournoi devait être celui d’une trop lente adaptation à cette nouvelle loi.