Louis Picamoles à la lutte avec Tom Wood, le 4 février à Twickenham. | GLYN KIRK / AFP

« Le succès, c’est d’aller d’échec en échec avec le même enthousiasme. » L’aphorisme de Winston Churchill est usé, mais il semble avoir été écrit pour le XV de France, ce qui ne consolera guère Guy Novès. Comme ses hommes, le sélectionneur ne cachait pas sa déception, et même sa « colère », samedi à l’issue de la cruelle défaite concédée à Twickenham contre l’Angleterre (19-16). Tout sauf de l’enthousiasme donc, plutôt une tenace sensation de lassitude. « On en a marre » fut la rengaine du soir côté français dans les entrailles du temple du rugby anglais.

« On est tous en colère », a confirmé Louis Picamoles, qui se moquait bien d’avoir été élu homme du match. « C’est un match qu’on se doit de gagner. On en a marre des défaites encourageantes ! On n’a rien à envier aux Anglais sur certaines choses, mais sur d’autres, des actions qui ne demandent pas forcément beaucoup de talent, ils sont hyper rigoureux, beaucoup plus que nous », regrettait le numéro 8 du XV du Coq, nouvelle star du championnat anglais avec son équipe de Northampton.

Des fautes « impardonnables »

« L’équipe de France a les moyens de rivaliser avec n’importe qui. On perd de deux points contre l’Australie, de trois contre les Anglais, de cinq contre les Néo-Zélandais. On n’est pas loin. Mais on doit progresser, parce qu’on n’a que ce qu’on mérite », se lamentait Guy Novès en conférence de presse. L’impératif de victoire érigé en mot d’ordre par le nouveau président de la Fédération, Bernard Laporte, trotte forcément dans les têtes alors que les défaites s’enchaînent, sans que le comique de répétition ne fasse plus rire personne. Tout en félicitant du bout des lèvres les vainqueurs anglais, le sélectionneur pestait contre ces « fautes bêtes » qui ont pollué le match des siens.

« Chaque joueur, à un moment du match, sur différentes actions, a commis une faute impardonnable », insistait Novès. « On a un cœur gros, on développe notre rugby, mais ça manque de rigueur et de maturité. On est quatre points devant à dix minutes de la fin, on ne doit pas perdre ce match ! » L’ouvreur Camille Lopez, auteur d’un bon 4 sur 5 au pied, trépignait tout autant, répétant les mêmes mots que son capitaine Guilhem Guirado auparavant. « On n’est pas assez tueurs, pas assez sereins pour gagner un match comme ça. On est une équipe jeune, mais ce n’est pas une excuse. Il faut qu’on grandisse, et vite parce que ça suffit les défaites. Les Anglais n’ont rien fait en première mi-temps, ils ont pris les points qu’on leur a donnés. Mais quand ils ont décidé d’aller chercher le match, ils l’ont fait. Ça fait chier. »

Au rayon statistiques, les tricolores ont terminé devant en termes de mètres gagnés, de passes après contact, de franchissements, de mêlées gagnées… et de pénalités. « Concéder quinze pénalités sur un match international, c’est du suicide », insistait Yannick Bru, adjoint de Novès en charge des avants, qui résumait l’impression générale en parlant d’un « match des contraires ». « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne finira pas le Tournoi avec zéro point », a plaisanté Guy Novès, interrogé sur l’importance du point de bonus pris en terre anglaise, avec une défaite de moins de sept unités. « Mais j’espère que ça nous servira de leçon. Parce que quand à la fin du match, on a une pénalité et qu’on ne trouve pas la touche, ça me sidère », n’en revenait pas le Toulousain, qui en voulait à ses joueurs, sans leur en vouloir. « Les mecs ont envie, ils ont mouillé le maillot. On a fait trembler les Anglais, alors qu’ils devaient nous marcher dessus, et pas un spectateur français n’est sorti la tête basse de ce match ».

Eddie Jone jubile

A l’issue de la rencontre, errant dans les rues de Twickenham, ils étaient nombreux à avoir un peu la grimace. Au contraire d’Eddie Jones. Le sélectionneur australien du XV de la Rose s’exprimait lui aussi avec des sentiments contradictoires, mais avec le sourire.

Eddie Jones, le 4 février à Twickenham. | GLYN KIRK / AFP

« C’était un match affreux mais j’ai toujours pensé qu’on allait le gagner », analysait Jones après cette « bonne victoire ». « C’est ma responsabilité, je n’ai pas bien préparé l’équipe. Je ne sais pas encore pourquoi on a joué comme ça, peut être que j’ai été trop gentil, ou souriant, pendant la préparation. Je suis content de la réaction de l’équipe, pas de la performance… C’était bizarre », expliquait Eddie Jones, qui se moquait bien du record de victoires d’affilée établi par les siens, avec 15 succès de suite. Interrogé sur l’importance de cette série historique, l’Australien mima un zéro avec ses doigts. « Par contre, si on gagne le Tournoi, je ferai le poirier dans la salle de presse. »

« Vite rejouer, pour gagner »

Louis Picamoles admettait n’avoir entendu aucun Anglais lui souffler le traditionnel « Good game » lors des poignées de main d’après match. Pour une bonne raison : les partenaires d’Owen Farrell pensaient que ce n’était pas le cas. « C’est toujours bon de gagner en jouant mal », jubilait donc Eddie Jones, tout en relevant, comme tous les spectateurs présents à Twickenham, l’impact de son banc, décisif avec les entrées dans le dernier quart d’heure de Daniel Te’o et James Haskell notamment.

« On aurait pu casser les Français plus tôt dans la deuxième période, on les sentait fatigués », répétait Jones, appuyant là où ça fait mal. Car au delà du manque de maturité ou d’expérience de son groupe, le manque de profondeur du banc tricolore a sauté aux yeux. Certes, le XV de France compte son lot de blessés, à tous les postes clés (Trinh-Duc, Fofana, Ollivon, Ben Arous…), mais on en revient aussi à la question de la formation, en souffrance dans le rugby français, et donc à un réservoir de joueurs qui s’est tari depuis une décennie.

« La France a une belle équipe, ils seront dominants à l’avenir, ils vont inventer le French Flair moderne », a joliment annoncé Eddie Jones, qui se tournait déjà vers son prochain match, au Pays de Galles. Côté tricolore, la réception, dimanche 12 février, de l’Ecosse, qui a surpris l’Irlande (27-21), était aussi dans les esprits, histoire de retrouver justement de cet enthousiasme churchillien. « On veut rejouer, voilà ce qu’on veut maintenant, soufflait Damien Chouly. On veut vite rejouer, pour gagner. »