Un bracelet de naissance servant à recenser les nouveau-nés au Burkina Faso, lié à l’application ICivil. | Sophie Garcia

Ils sont les oubliés de la société. Aux yeux de l’Etat, ils n’existent pas. Au Burkina Faso, ces enfants fantômes, non enregistrés à la naissance, représentaient, en 2015, 21 % des moins de cinq ans, selon l’Etat. Sans acte de naissance ni état civil, ces enfants ne peuvent pas s’inscrire à l’école, passer leurs examens ou encore bénéficier d’une protection sociale et juridique. Bref, ils n’ont aucun droit.

A Ouagadougou, la capitale, un homme a trouvé une solution pour rendre leur identité à ces centaines de milliers d’enfants fantômes burkinabés. Fin 2012, le Burkinabè Adama Sawadogo, consultant spécialisé en fraude documentaire, a inventé ICivil, une application permettant aux sages-femmes travaillant dans les zones les plus reculées d’enregistrer chaque naissance à partir d’un smartphone.

Déclaration par SMS crypté

« L’application fonctionne à partir du réseau téléphonique. Il n’y a pas besoin d’Internet. Lorsqu’une sage-femme veut déclarer une naissance, elle ouvre l’application et scanne un code QR [un type de code à barres]. Un formulaire de déclaration de naissance s’affiche. Elle le remplit et un SMS, crypté pour des raisons de sécurité, est envoyé sur une base de données centrale », détaille Adama Sawadogo.

L’informatisation des déclarations de naissance permettrait de braver l’un des principaux obstacles qui fait perdurer l’existence des enfants fantômes au Burkina Faso comme sur le reste du continent : l’éloignement des centres d’état civil. En Afrique subsaharienne, plus d’un enfant sur deux n’a pas d’identité. Il s’agit de la région la plus touchée par le fléau des enfants fantômes.

Au pays des hommes intègres, on recense près de 370 centres primaires d’état civil ; un par commune. Mais les trois quarts des Burkinabè vivent en milieu rural, dans un des 8 200 villages que compte le pays.

La plupart du temps, aller déclarer la naissance d’un enfant dans un de ces centres est une épreuve pour les familles qui doivent parcourir de longues distances et débourser de l’argent pour ce voyage. « Tout ça dans un délai de 60 jours, c’est la norme nationale, ajoute Adama Sawadogo. Compte tenu des contraintes matérielles et géographiques, c’est court. »

Un bracelet comme carte d’identité

Le Burkinabé de 39 ans tient en main un bracelet de naissance en plastique muni d’une étiquette. Sur cette dernière, le code QR que la sage-femme doit scanner, un numéro d’identification et un étrange carré brillant parsemé de bulles d’air. « Ça, c’est un code à bulles, précise le consultant. C’est cet authentifiant qui, couplé au numéro d’identification et au code QR, va garantir l’unicité et l’inviolabilité de l’identité de chaque nouveau-né qui devra porter le bracelet. »

Une fois l’enfant enregistré dans la base de données, ce bracelet, présenté par les parents aux autorités, leur permettra de retirer l’acte de naissance. Il pourra aussi servir à la délivrance d’autres documents administratifs. Il fait office de carte d’identité.

Le code à bulles a été inventé par Francis Bourrières, le fondateur de l’entreprise française Prooftag. Depuis, sa technologie sécurise, entre autres, les titres fonciers au Bénin, les diplômes en Côte d’Ivoire et même certains grands crus du Bordelais. Son application est infinie, son coût de fabrication extrêmement bas et, surtout, il est infalsifiable.

La solution ICivil a déjà été testée dans une dizaine de centres de santé de Ouagadougou entre août 2015 et juillet 2016. Marie-Anne Gnoumou, sage-femme à la clinique Yentema, a participé à cette expérimentation : « Les parents des nouveau-nés à qui j’ai posé le bracelet ont trouvé ça bien, assure la sage-femme en feuilletant son registre de naissances. Grâce au bracelet, ils pouvaient aller récupérer les papiers de leur enfant dans n’importe quel centre du Burkina. » ICivil permettrait de mettre fin à la régionalisation des actes d’état civil. Un obstacle qui contraint actuellement les citoyens à retourner dans leur province de naissance pour effectuer leurs démarches administratives.

L’Etat teste sa propre solution

Mais l’adoption par l’Etat de la solution d’Adama Sawadogo, bien que prometteuse, n’est pas à l’ordre du jour. Car dans le cadre de la stratégie nationale d’état civil (SNEC) du Burkina Faso, adoptée en 2012, un autre logiciel est en train d’être testé. CITOYEN, inventé par l’entreprise I-Concept, permettrait de numériser les actes d’état civil et de les rassembler dans une base de données centralisée. Le second plan d’action de la SNEC, adopté fin 2016 pour la période 2017-2021, prévoit une poursuite des tests de ce logiciel. « Nous comptons l’expérimenter dans une trentaine de communes en 2017 et 2018, explique Jean-Baptiste Lansomdé, patron de la direction générale de la modernisation de l’état civil (DGMEC).

En parallèle, I-Concept, qui semble n’avoir à Ouagadougou qu’une boîte postale et dont l’état civil burkinabè avoue ne pas connaître les responsables, aurait aussi mis au point une application smartphone, au fonctionnement semblable à ICivil, mais sans la composante du bracelet de naissance. Selon la DGMEC, cette application serait en phase de test dans l’arrondissement 1 de Ouagadougou. Si les essais s’avèrent concluants, l’Etat ambitionne d’implanter CITOYEN à l’échelle nationale. Mais cette technologie n’a pas encore trouvé de solution pour garantir l’unicité et l’authenticité des actes d’état civil. C’est là est l’un des enjeux principaux du second plan d’actions de la SNEC. Aussi, l’Etat affirme-t-il ne pas fermer la porte à ICivil, en cas d’échec des tests de CITOYEN sans avancer pour autant un calendrier précis.

Et pourtant, depuis 2012 et l’adoption de sa stratégie nationale, l’Etat a pris conscience qu’en matière d’enfants fantômes, il y a urgence. Car l’absence d’état civil est un problème pour les populations mais aussi pour l’Etat, comme l’expliquent Laurent Dejoie et Abdoulaye Harissou dans leur livre Les enfants fantômes (Albin Michel, 2014) : « Outre l’organisation de la vie en société de ses nationaux, l’état civil a, pour les Etats, une fonction statistique essentielle. Il leur permet de suivre les évolutions de la population, d’adapter les politiques publiques aux besoins et d’évaluer son action. »

Une modernisation accélérée de la gestion de l’état civil permettrait à l’Etat burkinabè de garantir que la mise en œuvre de son Plan national de développement économique et social (PNDES) 2016-2020, dont le financement a été bouclé avec brio en décembre dernier, coïncide avec les besoins réels de sa population. Pour connaître ces besoins, encore faut-il avoir des données sur le nombre et l’identité des nationaux. Et donc commencer par en finir avec les enfants fantômes.