Une affiche d’époque du Bal Nègre. | DR

Finalement, la salle de spectacle du 33, rue Blomet ­ (Paris 15e), dont l’ouverture est prévue à la mi-mars, ne s’appellera pas Le Bal nègre. Dimanche 5 février, en fin de matinée, Guillaume Cornut, propriétaire des lieux, le confirmait au téléphone, après une semaine de polémique. La salle à l’abandon a été rachetée en 2010 par M. Cornut, ancien trader et pianiste, qui en a financé les travaux de reconstruction, avec l’intention d’y programmer du jazz, de la musique classique et du cabaret. En définitive, elle s’appellera Le Bal de la rue ­Blomet, « nom d’origine de l’établissement au début du XXe siècle ».

M. Cornut justifiait son choix de départ par la réalité historique. Mais « le terme qui, autrefois, n’était pas péjoratif, est aujourd’hui chargé de connotations insultantes », souligne sur son site Internet le Conseil représentatif des associations noires (Cran), résumant ainsi les réactions négatives qui se sont multipliées. M. Cornut, qui indique avoir eu une discussion téléphonique cordiale avec le président du Cran, Louis-Georges Tin, confirme : seule une « affiche rappellera l’ancien nom » et le contexte. L’affaire avait pris un tour violent. « La devanture de la salle a été taguée, déclare M. Cornut. Nous avons fermé notre site Internet et notre page Facebook après des messages d’insultes, des accusations de racisme, des menaces notamment à mon encontre. J’ai déposé une plainte au commissariat. » Pour M. Cornut, c’est après la diffusion d’un court reportage montrant la devanture et surtout la publication, le 31 janvier, d’un entretien publié sur le site Web de la revue Africultures, qu’a commencé le débat sur ce nom. ­L’article était titré : « Prochaine ouverture du Bal nègre à Paris : quel usage du mot “nègre” en France ? » Interrogé par la revue sur ce choix et son possible caractère offensant, M. Cornut expliquait alors : « J’aurais fait plus de mal à la communauté afro-américaine en supprimant ce nom qu’en le conservant. »

Célia Sadai, dans le magazine « Africultures »  : Depuis bientôt soixante-dix ans, le mot nègre est devenu un paradigme ambigu, porteur de malaise pour les uns, naturel et culturel pour d’autres

Dans ses réponses, il revient sur ses recherches. Le Bal Blomet, fréquenté par les ouvriers antillais de Paris, s’appelle ensuite Bal colonial, mais c’est sous le nom de Bal nègre, qui serait dû à Robert Desnos, qu’il devient réputé. De 1925 au milieu des années 1930, la bourgeoisie, le Tout-Paris culturel s’y rendent. On y danse au son des musiques des Antilles. Interdit durant l’Occupation, il rouvrira jusqu’au début des années 1960, devenant plus tard un club de jazz, de musiques brésiliennes. En gardant le nom de Bal nègre, M. Cornut pensait être « fidèle à l’esprit des lieux durant les Années folles, celui d’un brassage culturel, d’ouverture ».

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En complément, Africultures proposait une partie « Décryptage » autour des termes « revue nègre, arts nègres, bal nègre »… des mots liés, après la première guerre mondiale, à la période du colonialisme, mais qu’en 2017 on ne peut utiliser à la légère. « La négritude, c’était il y a bientôt soixante-dix ans, écrit Célia Sadai dans son article. Depuis bientôt soixante-dix ans, le mot nègre est devenu un paradigme ambigu, porteur de malaise pour les uns, naturel et culturel pour d’autres. Mais que l’on tente d’y ajouter un souffle vital, festif ou héroïque, le mot nègre ne sera jamais un mot neutre, encore moins un mot joyeux. »

Pétition en ligne

Le même reproche a été fait à M. Cornut par les initiateurs d’une pétition mise en ligne le 1er février sur le site Change.org – plus de 6 000 signatures dimanche matin –, adressée à M. Cornut, à Anne Hidalgo, maire de Paris, à Philippe Goujon, maire du 15e arrondissement, et à Audrey Azoulay, ministre de la culture. Il y est demandé de « renommer cet endroit et d’ôter toute référence tendant à faire croire que l’exploitation des victimes de l’esclavage et de la colonisation était une période heureuse qui devrait faire l’objet d’une célébration, fût-elle nostalgique ».

Guillaume Cornut souhaite toujours inaugurer la salle de spectacle le 21 mars – soit la date de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Une décision qu’avec l’ancien nom, M. Cornut considérait comme symbolique de son propos, mais qui lui a été beaucoup reprochée. « Je n’ai jamais voulu choquer ou me montrer ­irrespectueux », souligne-t-il.