L’un des plus vieux chefs rebelles du continent africain toujours en activité, Afonso Dhlakama, vit caché depuis 2015 dans les montagnes du Gorongosa, au centre du Mozambique. C’est de là que le leader de la Résistance nationale mozambicaine (Renamo), le principal parti d’opposition, mène les opérations contre son ennemi de quarante ans, le Front de libération du Mozambique (Frelimo), au pouvoir. Affrontements sporadiques, assassinats, crise de réfugiés, exactions perpétrées par des forces gouvernementales : le conflit est depuis 2015 de moins en moins larvé. Fin décembre 2016, le vieil opposant a surpris tout le monde en annonçant une trêve unilatérale de deux mois. Une démonstration de force : du jour au lendemain, les rebelles ont cessé leurs attaques contre les villages et les routes principales, sur tout le territoire.

Après des mois de tensions en escalade, cette cessation des hostilités, réclamée par le gouvernement, offre un répit bienvenu. S’il n’existe pas de bilan officiel, le conflit mozambicain a fait plus d’une centaine de victimes civiles, et poussé fin 2016, plus de 8 000 personnes à se réfugier au Malawi et au Zimbabwe voisins.

Le 3 février, nouveau revirement : alors qu’il tenait mordicus à la présence de médiateurs internationaux aux pourparlers de paix, Afonso Dhlakama s’est mis d’accord avec le président Filipe Nyusi pour les congédier et ouvrir de nouvelles négociations, sous un autre format. Lundi 6 février, les deux parties ont nommé de nouveaux représentants, qui reprendront les discussions dans le courant de la semaine.

Franche reculade ou manœuvre habile ? Le vieux rebelle de 64 ans, qui dirige la Renamo d’une main de fer depuis 1979, n’en est pas à son premier coup politique. Un brin mégalomane, il parle de lui à la troisième personne et se vante d’avoir imposé la démocratie au Mozambique et d’être le seul capable de tenir tête au Frelimo, au pouvoir depuis l’indépendance en 1975, que la Renamo a combattu pendant la sanglante guerre civile de 1976 à 1992.

Interrogé par téléphone juste avant l’annonce du 3 février, Afonso Dhlakama revient pour Le Monde Afrique sur les raisons qui l’ont poussé à décréter la trêve. Il dénonçait alors le jeu trouble du gouvernement, dont il accuse les troupes de poursuivre les opérations militaires.

Qu’est-ce qui vous a poussé à décréter la trêve ? Il se dit que vous étiez dans une situation militaire précaire, encerclé par les troupes gouvernementales…

Afonso Dhlakama Non, non, non ! La Renamo a la suprématie militaire, nous n’avons jamais été mis en difficulté ! Pendant la guerre civile, toutes les armées du monde sont venues – les Russes, les Cubains, les Zimbabwéens, les Tanzaniens – avec des camions de matériel, pour tenter d’encercler Gorongosa, et elles ont échoué. Elles ont pris une raclée et nous avons obligé le régime du Frelimo à négocier à Rome. Donc ce n’est pas aujourd’hui, avec des gamins mal entraînés qu’ils ont pris dans les écoles, qu’ils vont y arriver.

Je vais vous dire mon secret : si j’ai décrété la trêve, c’est parce que le Frelimo veut la guerre. Mais il n’a jamais remporté aucune guerre. Et ses troupes ne supportent plus de se battre. Le peuple mozambicain est en train de perdre ses enfants. Si l’on fait les comptes, dans tout le pays, les militaires du Frelimo ont perdu entre 50 et 70 hommes par jour dans des combats contre la Renamo. De notre côté, jamais plus de trois ou quatre.

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Donc en tant que leader, j’ai accordé la trêve pour faciliter les négociations, les accélérer. Pour montrer que je n’avais rien à perdre avec ce cessez-le-feu. Non pas pour faire plaisir au Frelimo, qui trépignait depuis des mois et réclamait une cessation des hostilités, mais pour montrer que je suis un leader qui n’aime pas la guerre.

Vous dites que les forces armées ont essuyé de grandes pertes humaines. Qu’ont-ils fait des corps ?

Ils les éparpillent en forêt. J’en ai la preuve dans plusieurs provinces, des centaines et des centaines de soldats sont morts en 2015 et 2016. Que chacun demande à l’armée si ses enfants y sont toujours. Ils ont disparu par centaines et leurs familles ne le savent pas. Ils meurent comme des fourmis.

La Renamo dénonce des violations à la trêve militaire. Est-ce que ces violations se poursuivent ?

Oui. Il y a deux types de violations. D’un côté, les forces gouvernementales, que ce soit la police ou l’armée, qui sont contrôlées par le Frelimo, montent des embuscades contre les démobilisés de la Renamo. Ils les attrapent chez eux, les kidnappent, les jettent en prison. Il y a même eu des morts. On pourrait faire des bilans quotidiens mais on y passerait tout notre temps.

D’un autre côté, il y a des violations qui ne sont pas directement contre la Renamo, liées à l’indiscipline des forces armées. Ils vont dans les villages, tirent avec leurs armes pour disperser la population qui, de peur, fuit en brousse. Ils entrent dans les maisons, et prennent poulets, chèvres, canards.

Ces vols de nourriture, ces femmes battues, ces vols d’argent, c’est typique du Frelimo. Ils brûlent des maisons aussi. C’est ce qu’ils font. Ou bien le Frelimo ne sait pas tenir ses troupes, ou bien il y a un clair manque de volonté.

Les forces armées attaquent toujours les montagnes de Gorongosa où vous êtes retranché ?

Je ne peux pas mentir, ils n’ont plus fait d’offensive depuis un mois. Mais ils font des missions de reconnaissance, et ce sont des plaisanteries de mauvais goût. Que viennent-ils faire là ? Ils comptent encore lancer des opérations pour venir tuer Dhlakama ? Veulent-ils voir où se trouve la rivière où Dhlakama boit de l’eau pour pouvoir l’empoisonner ? Ou les chemins que nous empruntons pour y poser des mines antipersonnel ?

Dans ces conditions, comptez-vous prolonger la trêve après le 4 mars ?

Nous ne comptons pas révoquer la trêve. La population est très contente. Tous les jours quelqu’un m’appelle et me dit : « Président Dhlakama, s’il vous plaît, quand le 4 mars arrive, prolongez ! ». Et je dis : cela va dépendre de l’avancée des négociations. Et nous voulons qu’elles se terminent au plus vite pour pouvoir participer aux élections municipales d’octobre 2018.

Ce que nous voulons, c’est une vraie démocratie. Nous voulons la décentralisation de l’administration d’Etat. Nous voulons que les gouverneurs soient élus, tout comme les assemblées provinciales, et qu’ils aient un budget. Les gouverneurs ne doivent plus être nommés depuis Maputo, alors que la province a été gagnée par un autre parti. C’est un vieux modèle qui ne fonctionne plus dans les sociétés modernes.

Quand prévoyez-vous de sortir de Gorongosa ?

Quand nous aurons réussi à en finir avec tout cela et à avoir un accord final avec le président Nyusi. Car nous ne sommes pas nés pour toujours rester en brousse. Nous sommes aussi des personnes civilisées. Si je suis ici dans les montagnes, c’est parce que le Frelimo m’y a obligé, pour chercher la paix et la démocratie pour mon peuple.