Présence policière à Istanbul (Turquie), le 20 janvier. | © HUSEYIN ALDEMIR / Reuters / REUTERS

L’opération est la plus vaste jamais lancée par les autorités turques contre les réseaux de l’Etat Islamique (EI) sur son territoire. Au moins 763 personnes ont été appréhendées dans un vaste coup de filet lancé dimanche 5 février. Plus de 60 personnes, dont nombre d’étrangers, ont été arrêtées à Ankara, Istanbul, Izmir et Adana. Plus de 150 supposés djihadistes, dans leur écrasante majorité d’origine syrienne, ont aussi été interpellés dans la province de Sanliurfa, limitrophe de la Syrie.

La Direction générale de la sécurité, citée par l’agence de presse Anadolu, a affirmé que l’EI prévoyait une « action sensationnelle » à des fins de propagande en Turquie, avec pour cibles potentielles des organes médiatiques. Etendu à plus de vingt-neuf provinces du pays, le coup de filet amplement médiatisé du week-end vise à prouver que les autorités, longtemps accusées de laxisme face aux réseaux djihadistes, prennent désormais la question au sérieux.

La série d’attentats attribués à l’EI – dont celui à Ankara d’octobre 2015 qui a fait 109 morts – puis revendiqués explicitement par l’organisation, comme celui de l’aéroport d’Istanbul le 28 juin 2016 (45 morts) ou de la discothèque Reina dans la nuit de la Saint-Sylvestre (39 morts), montre que la Turquie est devenue l’une des principales cibles de l’EI où ses attaques ont fait près de 300 morts depuis l’été 2015.

« Une mine d’informations »

Selon des sources policières, les éléments fournis par Abdulgadir Masharipov, Ouzbek de l’EI et auteur de l’attaque contre le Reina arrêté quinze jours plus tard après une chasse à l’homme, auraient été déterminants. Il a reconnu les faits et aurait très rapidement accepté de coopérer avec les enquêteurs qui le considèrent comme « une mine d’informations » sur les réseaux dormants de l’EI en Turquie. Il était arrivé à Istanbul en passant par l’Iran comme l’a confirmé sa femme Zarina Nurullayeva, elle aussi arrêtée. A l’en croire, l’aîné de leurs deux enfants, âgé de 4 ans, aurait été emmené en Iran, avant leurs arrestations, par des membres du groupe. Tout au long de la préparation de l’attentat du Reina, Masharipov était resté en contact avec Rakka, décidant de renoncer à son projet initial d’un attentat sur la place Taksim – trop surveillée – pour se rabattre sur ce haut lieu de la nuit stambouliote.

« Les autorités turques ont longtemps
sous-estimé le danger », selon un expert.

Les services secrets, dans un rapport publié il y a deux ans par le journal Hürriyet, estimaient entre « 3 000 et 5 000 » le nombre de ressortissants turcs partis se battre en Syrie, une estimation englobant les djihadistes et les Kurdes partant faire le coup de feu en Syrie avec les YPG, les milices kurdes syriennes liées au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui mène la lutte armée contre Ankara depuis 1984. Jusqu’à l’été 2015, l’EI avait évité d’attaquer le territoire turc qui lui servait de base arrière et par où arrivait nombre de volontaires rejoignant ses rangs. Les autorités turques aidaient alors ceux qui combattaient le régime syrien et notamment les islamistes, qui étaient les plus déterminés. Elles ont ensuite été prises de court par la montée en puissance de l’EI dès l’été 2014.

« Les autorités turques ont longtemps sous-estimé le danger et elles ont privilégié, ces trois dernières années, la lutte contre la confrérie islamiste de Fetthulah Gülen et celle contre les rebelles kurdes du PKK faisant passer au second plan la traque contre les jihadistes de l’EI », note un expert. Entamées en 2013, au début de l’affrontement entre cette confrérie et le Parti de la justice et du développement (AKP) qui avait été longtemps son allié, les purges dans la justice et la police – terrains privilégiés des infiltrations gülénistes – se sont accrues après le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016. Un quart des procureurs ont été limogés dont nombre de magistrats spécialisés dans l’antiterrorisme. L’ampleur du dernier coup de filet, trois semaines après l’arrestation de Masharipov, montre que les forces de police turques, aidées par les services occidentaux, conservent leurs capacités opérationnelles.