Série documentaire sur Arte à 20 h 50

Bande annonce Mafia et République - La série documentaire
Durée : 01:20

Où qu’elles se trouvent sur la planète, les organisations mafieuses ne peuvent survivre et asseoir leur pouvoir qu’en infiltrant les antichambres des Etats. En France, c’est la mafia corse ­– assez méconnue – qui a réussi à s’y glisser. Profitant des troubles politiques des années 1930, elle a su s’imposer sur les docks de Marseille, territoire de tous les trafics, puis à Paris, lieu de tous les pouvoirs. Son plus grand fait d’armes est d’avoir été la cheville ouvrière de la « French Connection », dans les années 1970, aux côtés d’autres grandes organisations criminelles, pour l’exportation clandestine de l’héroïne aux Etats-Unis.

Mais, au-delà de ces trafics ­juteux, la mafia corse reste surtout une organisation qui a surnagé en en frayant avec des politiques de tous bords. Parmi les plus connus, citons Gaston ­Defferre (1910-1986), ancien maire de Marseille, qui, à la sortie de la guerre, a pris la mairie avec l’aide du clan Guérini, et surtout Charles Pasqua (1927-2015), ancien ministre de l’intérieur, qui, en tant que « grand protecteur », a permis à ses amis corses de prospérer dans la capitale, notamment dans les cercles de jeux. « Pasqua, c’était Janus, le dieu aux deux visages, au cœur de l’Etat français, explique Pierre Péan, coauteur de Mafia et République avec Vanessa Ratignier et Christophe Nick. Des gens traquaient le crime organisé, corse notamment, alors que d’autres, pour des raisons de pouvoir, l’utilisaient. Ce phénomène est essentiel pour comprendre l’histoire de la France depuis la fin des années 1930. »

Règlements de comptes, assassinats, corruption...

C’est cette histoire complexe et longtemps occultée que relatent les auteurs de cette passionnante série documentaire illustrée par de nombreux témoignages et des archives souvent inédites. Un récit en trois volets qui a nécessité cinq ans de travail pour couvrir la ­période des années 1930 à nos jours. Quatre-vingts ans où se ­mêlent intrigues, mécanismes obscurs, règlements de comptes, assassinats, corruption, collaboration et blanchiment d’argent sale sous l’œil complice de l’Etat français, qui a su utiliser les Corses pour exécuter ses basses œuvres. « Lorsque l’Etat est faible, les mafias prospèrent, parce qu’elles sont peu ou prou un substitut à l’architecture de l’Etat », souligne le juge ­antiterroriste Gilbert Thiel.

Tout débute pendant l’entre-deux-guerres, dans le port de Marseille, où Paul Carbone et François Spirito, deux jeunes Corses devenus les rois de la pègre, s’allient à Simon Sabiani, jeune socialiste du Parti d’unité prolétarienne. Ce ­dernier, politicien ambitieux et véreux qui finira dans la collaboration, veut conquérir la mairie. Contre une partie du pouvoir, les deux malfrats lui garantissent ­votes et bourrage des urnes. C’est la première alliance politico-mafieuse en France. Une méthode qui se répétera souvent par la suite, notamment après la guerre, quand la France est à reconstruire. Carbone et Spirito, qui ont plongé dans la collaboration, en seront écartés, alors que les frères ­Guérini, qui ont rejoint la Résistance, feront prospérer leur business après la victoire.

Paul Carbone était une figure du milieu marseillais des années 1920 à 1940 avec son associé François Spirito. | YAMI 2

C’est à cette période que surgit, dans le cercle de Carbone et ­Spirito, Etienne Léandri (1915-1995), Corse grandi à Marseille. Un personnage trouble à l’itinéraire incroyable que l’on ­retrouve tout au long de la série documentaire. Gigolo, trafiquant d’héroïne et gestapiste notoire qui n’hésitait pas à se promener dans Paris en uniforme nazi, il fut ­condamné à la fin de la guerre à vingt ans de travaux forcés pour « intelligence économique avec l’ennemi ». Léandri échappa à sa condamnation en se réfugiant en Italie, où il devint un des relais corses de la French Connection auprès des mafieux italiens. Protégé par la CIA, qui appréciait son anticommunisme, Léandri participa à un tas de trafics avant de rentrer en France où il fut déclaré non-coupable de l’accusation de « haute trahison ». Un vrai ­miracle…

Pesante loi du silence

Comme lui, de nombreux mafieux se sont infiltrés dans les rouages de l’Etat. Certains se sont refait une virginité en devenant agent du Sdece (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), puis en servant la « Françafrique » post-coloniale, aux côtés de l’homme fort du ­général de Gaulle, Jacques Foccart. D’autres, comme Léandri, ont ­rejoint Charles Pasqua, le fondateur du Service d’action civique (SAC), milice des basses œuvres du pouvoir gaulliste. Devenu incontournable et intouchable, Léandri a ensuite fait le lien entre le pouvoir politique et économique. On le retrouve ainsi au cœur de l’affaire Elf, le plus grand scandale d’Etat des années 1990, avec ses ­rétrocommissions occultes au profit des partis politiques. L’ombre de la mafia corse plane aussi sur le gang de la Brise de mer, à Bastia, ainsi que sur l’assassinat du préfet Erignac le 6 février 1998 à Ajaccio. Malheureusement, la ­vérité ne sera jamais entièrement mise au jour sur ces nombreuses affaires. La loi du silence chère à la mafia s’est toujours imposée. Quant à Charles Pasqua et Etienne Léandri, ils sont morts en emportant leurs secrets.

Mafia et République, de Christophe Bouquet. Ecrit par Pierre Péan, Vanessa Ratignier et Christophe Nick (Fr., 2016, 3 x 60 mn).