En un semestre, trois événements braquent le projecteur sur les objets et mobiliers de Diego Giacometti (1902-1985), frère de l’illustre sculpteur suisse Alberto Giacometti. Sotheby’s a présenté du 25 au 31 janvier une exposition d’une soixantaine de pièces prêtées par des collectionneurs où, officiellement, rien n’était à vendre, en prélude à une vente, cette fois en bonne et due forme, le 17 mai, d’une trentaine d’autres pièces. De son côté, Christie’s disperse le 6 mars vingt lots provenant de la collection du couturier Hubert de Givenchy.

Diego Giacometti fut longtemps l’homme de l’ombre. Alberto, son aîné de treize mois, le fait travailler à partir de 1927 et ce jusqu’à la fin de sa vie. Entre eux deux, la relation sera fusionnelle. En symbiose totale, le matin Diego réalisait les tirages en plâtre et l’après-midi posait plusieurs heures durant comme modèle pour son frère.

Ensemble, ils réaliseront aussi quelques objets, vases et luminaires pour le décorateur Jean-Michel Frank. A aucun moment Diego ne sera concepteur ou coauteur de ces objets, mais simple praticien. La gamme de pièces réalisées ensemble est d’ailleurs restreinte.

Un style d’inspiration végétale

Ce n’est qu’à la mort d’Alberto, en 1966, que Diego s’épanouira comme créateur, composant son propre mobilier-sculpture. Son style, d’inspiration végétale, sera bien différent de celui abstrait et épuré de son frère. « Diego Giacometti arrive avec poésie et humour à déguiser la fonction première de ses meubles en y glissant un bestiaire facétieux et lui confère le statut de meuble d’artiste », vante Florent Jeanniard, spécialiste chez Sotheby’s.

Ce vocabulaire léger, un brin anecdotique, séduira aussi bien Hubert de Givenchy que la famille Guerlain, Aimé Maeght ou Hélène Rochas. Diego réalisera aussi une commande monumentale pour le musée Picasso, à Paris. Travaillant pour un petit cercle d’amateurs, ses meubles existent en peu d’exemplaires : rien à voir avec la diffusion d’un mobilier industriel.

Pour autant son audience ne se limite pas à l’Hexagone. D’emblée, il développe une forte clientèle américaine. Aujourd’hui, les amateurs se dénombrent également au Japon, au Brésil, et jusque dans les Emirats arabes unis.

Une table aux caryatides à 3,8 millions de dollars

Ces nouveaux acheteurs ont d’ailleurs contribué à hisser sa cote de manière vertigineuse. Si les prix des sculptures d’Alberto Giacometti restent bien supérieurs au mobilier de Diego, ce dernier devance son aîné dans la catégorie objets. Depuis quelque temps, les records s’enchaînent.

Sa table aux oiseaux, provenant de la collection Mellon, s’est vendue 1,4 million de dollars chez Sotheby’s en 2015. Un an plus tard, sa table aux caryatides, issue de la collection Matarazzo, s’est propulsée à 3,8 millions de dollars. Christie’s propose le 6 mars trois autres tables aux caryatides, les plus grandes estimées entre 800 000 et 1,2 million d’euros.

A côté de ces meubles réalisés en très peu d’exemplaires, il existe d’autres modèles iconiques, comme les fauteuils tête de lionne, le chat maître d’hôtel ou l’autruche. « Une table ayant des animaux ou des personnages et une table qui n’en a pas, ce n’est pas le même prix », précise Olivia de Smedt, spécialiste chez Christie’s.

De nombreuses contrefaçons

Malgré ses clients prestigieux, Diego Giacometti reste globalement méconnu. « Les articles sur lui de son vivant se comptent sur les doigts d’une main, admet Florent Jeanniard. Ses créations plaisent aujourd’hui à bien plus d’amateurs que de son vivant. » « C’est un très bon artiste, qui n’est pas pour l’instant inscrit dans l’histoire de l’art, reconnu par les musées », regrette pour sa part Catherine Grenier, directrice de la Fondation Annette et Alberto Giacometti.

Et de préciser : « Il n’est pas dans le design industriel défendu par le Centre Pompidou, et même dans les arts décoratifs, les spécialistes ne se sont pas penchés sur lui. Pourtant il a anticipé des choses, notamment tout un retour à l’artisanat et à la pièce unique qu’on constate aujourd’hui. »

Une chose complique toutefois le « revival » : la quantité de contrefaçons qui ont pollué son marché depuis une trentaine d’années. Un vrai casse-tête. Faute d’un comité ou fondation fiable, comme il en existe pour son frère Alberto, il n’est pas toujours aisé de distinguer le bon grain de l’ivraie. « Les faux sont compliqués à identifier, très bien faits, admet Olivia de Smedt. Il y a eu dans les années 1980 plusieurs filières de contrefaçons. Il en existe encore sur le marché et les gens redoublent de prudence. » Pour Florent Jeanniard, « la traçabilité » est essentielle. Aussi la provenance Givenchy est-elle une bénédiction pour Christie’s.

Reste enfin une dernière question : le marché peut-il absorber ce grand volume d’objets que Sotheby’s et Christie’s livreront aux enchères à deux mois d’écart ?