LA LISTE DE NOS ENVIES

Grand absent de la course aux Oscars, Silence, projet porté par Scorsese pendant des décennies arrive sur les écrans, en même temps que Claire Simon livre un documentaire acéré sur le concours d’entrée à la Femis, l’école de cinéma parisienne.

SPIRITUALITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE : « Silence », de Martin Scorsese

SILENCE - Bande-annonce VOST
Durée : 02:14

Il a fallu plus d’un quart de siècle à Martin Scorsese pour porter à l’écran Silence, le roman de l’écrivain catholique japonais Shuzaku Endo, qui raconte la fin de la persécution des chrétiens japonais au XVIIe siècle.

Plus que la dimension historique de cet affrontement entre une Eglise occidentale et un pouvoir féodal, c’est l’aventure spirituelle des deux prêtres portugais (mais anglophones par la grâce des conventions cinématographiques que Scorsese manie comme personne) qui est au centre de ce film ample et majestueux, cruel et bouleversant.

La mise en scène d’une assurance sans égale aujourd’hui, place ces personnages tourmentés dans les paysages montagneux de Taïwan que la caméra du chef opérateur Rodrigo Prieto embrasse en des compositions qui empruntent aussi bien à la peinture religieuse occidentale qu’au cinéma classique japonais.

Le choc entre la foi des deux jeunes jésuites (Andrew Garfield et Adam Driver) et le conservatisme réaliste des responsables japonais de la répression tourne au dialogue philosophique jusqu’à s’épanouir en une magnifique séance finale où réapparaît le personnage du père Ferreira. Cet homme que les jeunes prêtres sont venus sauver de l’apostasie est incarné avec une autorité irréfutable par Liam Neeson, qui fait écho à la maîtrise impeccable du metteur en scène.

Pour les Parisiens de domicile ou d’occasion qui veulent remonter aux sources de Silence (Mean Streets, La Dernière Tentation du Christ, A tombeau ouvert), la Filmothèque du quartier latin propose un très consistant programme de films de Martin Scorsese jusqu’au 28 février. Thomas Sotinel

« Silence », film américain de Martin Scorsese. Avec Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Tanadobu Asano, Issei Ogata, Yosuke Kubozuka (2 h 41).

GÉNÉRATION PASSÉE AU TAMIS : « Le Concours », de Claire Simon

LE CONCOURS bande-annonce
Durée : 01:59

Pendant onze ans, de 2002 à 2013, Claire Simon a dirigé le département réalisation de la Femis, école de cinéma atypique, qui se fait fort de fonctionner sans professeurs mais avec des intervenants issus, au même titre que les jurés du concours d’entrée, de tous les métiers du cinéma.

L’année suivant la fin de son mandat, elle est revenue sur place pour filmer le déroulé du concours. Le documentaire qu’elle en a tiré s’appréciera différemment sans doute selon que l’on a un pied dans le milieu et qu’on aura le sentiment de se trouver devant un film de famille, ou qu’on y est étranger.

La valeur du film tient autant à son analyse de la nature du concours, outil destiné à assurer la reproduction du corps social qui l’a engendré qu’au chemin qu’il emprunte pour y arriver. S’il montre de manière saisissante à quel point, en valorisant à chaque étage de la fusée le plus petit dénominateur commun, le concours éjecte de son orbite tout ce qui s’écarte un peu trop de la norme, s’il invite à méditer sur la logique de compétition aujourd’hui à l’œuvre dans le domaine artistique, il met aussi en lumière ce bel élan qu’ont en partage les candidats et les jurés, l’amour du cinéma. Isabelle Regnier

« Le Concours » , documentaire français de Claire Simon (1 h 59).

LE DÉSIR ET LES FRONTIÈRES : « Brothers of the Night », de Patric Chiha

Brothers of the Night
Durée : 01:38

lls s’appellent Yonko, Stefan, Vassili, Asen, Nicolay… Ils portent du cuir sur leurs épaules et, sur leurs visages, tout un grabuge d’émotions contradictoires. Ils parlent entre eux un curieux mélange de bulgare, de romani et d’allemand, qui dit quelque chose de leur histoire commune, celle de jeunes Roms des Balkans venus tenter leur chance dans un pays riche d’Europe occidentale.

Tous les soirs, ils se retrouvent au café Rüdiger, dans une petite rue du centre de Vienne. Il ne faut pas bien longtemps pour comprendre qu’ils se vendent aux hommes les plus offrants, qui se trouvent souvent être aussi les plus âgés. Entre deux passes, ils pensent aux femmes et aux enfants qu’ils ont laissés derrière eux, en Bulgarie.

Ce qui frappe d’emblée, dans ce documentaire du réalisateur autrichien Patric Chiha, c’est l’instable géographie du désir dans laquelle il s’installe. Si les garçons qu’il filme se plient par nécessité à une demande homosexuelle, celle-ci leur est une terre a priori aussi étrangère que cette Autriche où ils ont débarqué depuis peu.

Pour scruter cette zone mystérieuse du retournement de soi, Patric Chiha ne s’en remet pas à la seule modalité documentaire, mais invente, dans le périmètre restreint du bar et de ses environs, des espaces où les personnages peuvent se raconter, se confesser, s’abandonner à eux-mêmes.

De quoi parlent-ils, ces frères de la nuit ? Toujours de la même chose. De ce qu’il faut se résoudre à faire ou à ne pas faire avec les clients. Des sommes, surtout, que chaque acte pratiqué rapporte. La tendresse, la douceur, la solidarité, prennent le relais par le biais de l’amitié qui lie tous ces garçons, cette camaraderie de circonstance qui les soulage de la sauvagerie économique. Peu à peu, les contours « homo » et « hétéro » se déplacent, s’imprègnent mutuellement, se confondent dans une même pulsation de désir. Mathieu Macheret

« Brothers of the Night », documentaire autrichien de Patric Chiha (1 h 28).

RENCONTRE : John Boorman présente « Délivrance » à Paris

Dueling Banjos (HD)
Durée : 04:20

Close Encounters With Vilmos Szigmond, le beau documentaire de Pierre Filmon sur le grand directeur de la photographie hongrois devenu pilier du nouvel Hollywood continue de porter ses fruits. Au Grand Action sa projection sera suivie de celle de Délivrance, le film qui, en 1972, consacra Szigmond, après sa collaboration avec Robert Altman pour John McCabe. C’est John Boorman, le réalisateur très britannique de cette histoire très américaine, qui présentera en personne la séance. Ce formidable conteur reviendra sur le tournage plus qu’athlétique de Délivrance, qui met en scène un groupe de jeunes mâles urbains perdus dans les montagnes les plus reculées de l’Union. T. S.

Le dimanche 12 février à 17 heures et 19 heures au Grand Action 5, rue des Ecoles, Paris 5e.

ENFANCES SUDISTES : « Du silence et des ombres », de Robert Mulligan

Trailer 2017 DU SILENCE ET DES OMBRES /TO KILL A MOCKINGBIRD
Durée : 01:32

Le roman de Harper Lee Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, qui évoque les tourments que traverse une petite ville d’Alabama, au temps de la Grande Dépression, lorsque l’avocat Atticus Finch décide de défendre Tom Robinson, un Afro-Américain accusé de viol, est devenu dès sa parution en 1960 un classique de la littérature américaine.

Porté à l’écran deux ans plus tard par Robert Mulligan, ce texte est devenu un beau film aux consonances gothiques, dans lequel le monde des adultes et ses corruptions deviennent la matière des cauchemars des enfants.

Le rôle d’Atticus Finch a valu à Gregory Peck l’Oscar du meilleur acteur. En ces temps de vacances scolaires, c’est une alternative bienvenue aux distractions à grand spectacle, qu’elles soient en briques (Lego Batman) ou en pixels (Tous en scène). T. S.

« Du silence et des ombres », film américain de Robert Mulligan (1962), avec Gregory Peck, Mary Badham, Philip Alford (2 h 02).