Le tribunal correctionnel de Paris, en janvier 2011. | LOIC VENANCE / AFP

« Je me demandais à quoi allaient servir les circuits courts en matière de terrorisme devant une juridiction spéciale : à juger des infractions banales qui n’ont rien à voir avec du terrorisme », s’interroge David Apelbaum, avocat d’Ali Hattay, condamné en juillet dernier à huit ans de prison pour avoir rejoint la Syrie et poursuivi, mardi 7 février, pour avoir utilisé un portable au sein de la prison de Villepinte où il est détenu. Il aura fallu attendre, ce jour-là, cinq heures de débats, deux plaidoiries et de longs face-à-face – souvent stériles – entre la présidente et les prévenus pour qu’un avocat finisse par aborder le sujet du jour. Il y a encore quelques semaines, Ali Hattay aurait pu être jugé par le tribunal de Bobigny et par des magistrats non spécialisés.

Mais désormais, chaque premier mardi du mois, les délits terroristes les moins graves comme la consultation répétée de sites djihadistes ou l’apologie du terrorisme, ainsi que les délits commis en détention par des détenus condamnés dans des dossiers terroristes, peuvent être jugés par des magistrats spécialisés, ceux de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Une nouveauté, et surtout une première.

Ces dossiers de « basse intensité » sont regroupés sous l’appellation de « circuit court ». Autrement dit, ces délits qui ne nécessitent pas des enquêtes poussées ne sont pas passés par la case d’un juge d’instruction. Seule une enquête préliminaire, dirigée par un procureur, a été confiée à des enquêteurs spécialisés, puis les mis en cause renvoyés en comparution immédiate ou convoqués par procès-verbal.

Une entreprise terroriste individuelle

A l’origine de cette nouvelle organisation du TGI de Paris, son président Jean-Michel Hayat. Pour quel objectif ? Désengorger le pôle antiterroriste – et donc permettre aux onze juges d’instruction de se concentrer sur des affaires plus lourdes –, raccourcir les délais de jugement et, par conséquent, la durée des détentions provisoires. A peine annoncée, la mesure a été critiquée par une partie des avocats. Dans une tribune, publiée dans Le Monde, une centaine d’entre eux, parmi lesquels William Bourdon et Christian Saint-Palais, ont dénoncé « une justice au rabais », « une justice d’exception » qui jugerait à la va-vite des dossiers complexes et des personnalités parfois fragiles.

C’est dans ce climat de suspicion que s’est tenue mardi la première audience en « circuit court ». Face aux six prévenus présents, des magistrats spécialisés, habitués à juger des délits terroristes. Dans la salle, les proches des prévenus ont fait le déplacement ainsi que quelques journalistes et avocats venus en tant qu’observateurs. Cet après-midi, le tribunal doit juger deux dossiers de consultation répétée de sites djihadistes ainsi que les frères Hattay, poursuivis pour détention et recel de portable en prison. « Une infraction pénale très rarement appliquée », ne manque pas de faire remarquer Me Apelbaum. Et d’ajouter en réaction aux questions de la présidente : « J’ai l’impression que l’on refait en miniature un procès déjà passé. (…) Je veux bien qu’on spécialise une chambre [la 16e] mais à un moment donné, vous êtes là pour juger une infraction, pas une personne ni une personnalité. »

Après quatre heures de débat, une autre affaire crée, elle, l’étonnement. Il s’agit d’un jeune homme soupçonné d’entreprise terroriste individuelle. Son expertise psychiatrique n’ayant pas encore été réalisée, l’affaire, renvoyée en comparution immédiate, sera jugée le 7 mars, date de la prochaine séance consacrée aux « circuits courts ». Les avocats présents confient leur surprise de voir un tel délit renvoyé en comparution immédiate. Pour certains, c’est bien la preuve que les magistrats choisissent de juger devant cette chambre des dossiers qu’ils ont soigneusement sélectionnés.

« Cela n’empêche pas l’erreur »

Pour le secrétaire général du TGI de Paris, l’objectif de ce nouveau type d’audience est surtout d’établir une meilleure « hiérarchie de la gravité » et d’obtenir des « peines plus justes ». Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, les procès pour apologie du terrorisme – infraction intégrée au code pénal depuis novembre 2014 – se sont multipliés partout en France. En 2015, 332 individus ont été condamnés pour ce délit ainsi que pour provocation directe à un acte de terrorisme. Parmi les 118 condamnés en infraction unique – seulement pour ces motifs –, 48 % ont reçu une peine de prison ferme avec un quantum moyen de 6,7 mois. Mais parfois, les peines prononcées se veulent exemplaires. En décembre 2016, un lycéen de Massay, dans le Cher, a ainsi été condamné par le tribunal correctionnel de Bourges à cinq ans de prison dont trois ferme. En août, un jeune Niçois a, lui, eu trois ans de prison pour sa fréquentation assidue de sites djihadistes, et a été écroué immédiatement.

Mais le passage devant un juge spécialisé est-il forcément la garantie, pour les prévenus, d’obtenir une peine plus juste ? « Quand on dit que cette nouvelle organisation vise à diminuer les détentions provisoires et à obtenir des peines plus proportionnées, on ne peut pas être contre », fait valoir Dominique Attias, vice-bâtonnière de Paris tout en précisant attendre le premier bilan des « circuits courts », prévu dans six mois. « Plus les magistrats sont formés, plus on s’approche d’une bonne décision de justice, poursuit Christian Saint-Palais, président de l’association des avocats pénalistes. Mais cela n’empêche pas l’erreur. »

« L’habitude peut aussi entraîner des dérives car un juge peut reconnaître dans la personne qui se présente devant lui un profil déjà mis en cause et condamné la semaine d’avant. Il peut aussi estimer que tel argument, déjà entendu, n’est pas valable. Il doit donc se dégager du poids de ses connaissances. »

L’avocat Raphaël Kempf, signataire de la tribune dans Le Monde, craint, au contraire, que le passage devant une juridiction spéciale entraîne « des peines plus sévères pour des délits qualifiés de terroristes ».

Après six heures d’audience, la présidente rend les premiers délibérés. Les deux hommes, jugés pour consultation répétée de sites djihadistes, sont condamnés, pour l’un, à douze mois de prison dont six avec sursis, pour l’autre, à dix-huit mois dont dix ferme. Quant aux frères Hattay, le tribunal prononce une peine de quinze mois de prison ferme avec mandat de dépôt ce qui signifie que la sanction n’est pas aménageable. « Ça va faire jurisprudence », glisse-t-on dans la salle.