« Une crucifixion en règle. » C’est ainsi que la députée européenne Michèle Rivasi (EELV-Groupe Les Verts) décrit la vive controverse qu’elle a déclenchée en projetant d’organiser, jeudi 9 février, dans les locaux bruxellois du Parlement européen, une projection-débat autour de Vaxxed, un film soutenant la thèse d’un lien entre autisme et vaccination. Devant la polémique, l’événement devait finalement se tenir jeudi matin, mais dans un espace privé, en tout cas hors des bâtiments officiels des institutions européennes.

Plus que le documentaire en lui-même, c’est l’identité de son réalisateur, l’ancien chercheur et médecin Andrew Wakefield, qui est responsable de la tempête : en 2010, ce dernier a été reconnu coupable de fraude scientifique par le General Medical Council britannique – l’équivalent, outre-Manche, du Conseil de l’ordre des médecins. Il est, depuis, radié de la médecine par ses pairs. Gastro-entérologue de formation, M. Wakefield est célèbre pour avoir publié en 1998 dans la prestigieuse revue The Lancet, une étude de douze cas d’enfants atteints d’un syndrome atypique – régression vers l’autisme accompagnée d’une inflammation intestinale – peu de temps après l’injection du vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole).

Des données manipulées

Accueillie avec circonspection par la communauté scientifique, la publication fait très forte impression dans le public. A elle seule, elle contribue plusieurs années durant à faire baisser la couverture vaccinale contre ces trois maladies au Royaume-Uni et fait sentir son effet jusqu’aux Etats-Unis. De moins d’une centaine de cas par an entre 1998 et 2000, l’incidence de la rougeole a grimpé jusqu’à plus de 2 000 cas en 2012.

En 2004, un journaliste d’investigation, Brian Deer, met en évidence des manipulations dans l’étude en question. Sans grandes répercussions. Six ans plus tard, M. Deer publie une série de révélations dans le Times, qui cette fois précipitent le retrait de l’étude et la radiation de M. Wakefield.

Les faits rassemblés par le journaliste britannique – également connu pour avoir mis au jour les trucages de chercheurs stipendiés par l’industrie pharmaceutique – sont particulièrement accablants. M. Wakefield était secrètement rémunéré par un cabinet d’avocats pour mener l’étude et, pour ce faire, rassembler des enfants présentant un syndrome post-vaccinal atypique. L’étude devait appuyer des poursuites en justice contre le laboratoire à l’origine du vaccin. En outre, l’enquête de M. Deer a montré que la majorité des données publiées dans le Lancet avaient été manipulées pour accréditer la thèse d’un lien entre vaccination et régression vers l’autisme… Mêmes les données d’anatomopathologie, attestant de l’inflammation intestinale des enfants recrutés, avaient été truquées.

Intense activité des antivaccin

L’invitation de M. Wakefield, prévue dans l’enceinte officielle d’une institution européenne, a suscité une intense activité de la part d’associations antivaccin. De nombreux e-mails ont été adressés à des parlementaires, leur signalant la venue de l’ancien médecin et la projection de son film – que Le Monde n’a pas visionné. Des députés écologistes britanniques, bien au fait de l’affaire Wakefield et avertis de la venue de l’intéressé, ont vivement protesté auprès de Mme Rivasi.

Interrogée par Le Monde, l’intéressée confesse « découvrir le dossier » Wakefield et avoir organisé la réunion après avoir été saisie par des associations. « Nous avons maintenu l’événement, mais hors du Parlement, pour éviter que cela puisse lui servir de caution ou de tribune, dit-elle au Monde à la veille de la réunion. D’une part, je ne suis absolument pas antivaccin, et d’autre part mon but n’était pas de servir la soupe à M. Wakefield : j’avais ainsi invité l’OMS, qui a décliné, et je compte bien lui poser des questions, sans complaisance. » L’eurodéputée assure que son but est « uniquement de discuter de questions importantes comme les conflits d’intérêts et la sécurité vaccinale » et non de « rentrer dans une polémique sur telle ou telle personnalité ».

La polémique est pourtant bel et bien partie. Des associations pour la « liberté vaccinale » ont ainsi publié des communiqués dénonçant la « censure » de l’événement et du film par le Parlement. A l’inverse, l’association E3M, qui milite pourtant pour le retrait des adjuvants aluminiques vaccinaux, a protesté après que le nom de l’association a été utilisé par la députée européenne dans l’un de ses communiqués. Dans un communiqué du 7 février, E3M a ainsi tenu à préciser n’être « en aucun cas associé aux débats qui entourent la projection du film Vaxxed ». Une autre projection-débat était prévue le 13 février à Paris. Mais l’événement se fera sans M. Wakefield, dit Mme Rivasi, et sans son documentaire.