Bachar Al-Assad, lors d’une interview avec un média belge, le 7 février (photo fournie par l’agence de presse officielle syrienne). | - / AFP

Editorial du « Monde ». De 2011 à 2015, 13 000 personnes, pour la plupart des civils, ont été pendues dans une prison du nord de Damas. Durant la même période, dans le même établissement, la prison de Saidnaya, des milliers d’autres détenus ont été tués sous les coups, la torture ou sont morts de faim, de soif, de maladie et d’épuisement.

Dans un rapport soigneusement documenté, publié au début de la semaine (Le Monde du 8 février), Amnesty International décrit, par le détail, cette machine de mort qu’est le régime de Bachar Al-Assad – celui qu’aiment tant visiter quelques députés français. Le plus triste dans cette affaire est qu’elle ne surprend pas ou à peine. Le plus terrible est qu’elle vient corroborer tant de témoignages recueillis par ailleurs. Même au regard de l’histoire d’une région aussi tourmentée que le Moyen-Orient, la violence du régime de Damas contre sa propre population reste sans équivalent.

Cette violence est au cœur de la crise syrienne, au moins autant que la présence dans le pays des hordes djihadistes d’Al-Qaida ou de l’organisation Etat islamique. La barbarie de ce régime est partie intégrante de cette tragédie. Impossible de fermer les yeux au prétexte rebattu, jusqu’à l’obscénité, qu’« il faut faire avec », car « l’alternative serait pire encore », ou tel autre argument de ce type avancé au nom du réalisme. Mais comment traite-t-on avec un régime qui a massacré des dizaines de milliers de ses compatriotes ? Et comment imaginer l’avenir de la Syrie avec Bachar Al-Assad ? Seuls les Syriens peuvent répondre à ces questions.

« Une politique d’extermination »

A Saidnaya, des groupes allant jusqu’à 50 personnes étaient sortis de leurs cellules en pleine nuit, chaque semaine, vaguement entendus par un juge, tabassés puis placés sous la potence. Souvent trop légers pour mourir ainsi, les plus jeunes suppliciés étaient détachés par les gardiens qui leur brisaient ensuite la nuque. Pour décrire ce qu’elle appelle « un abattoir humain », Amnesty a recueilli les témoignages de près d’une centaine de personnes – gardiens, médecins, anciens détenus.

L’organisation parle d’une campagne organisée au plus haut niveau de cette dictature. La machine de mort de Saidnaya rappelle le dossier « César ». En 2014, ce photographe légiste a fait sortir de Syrie un stock de 50 000 photos de prisonniers morts de faim, de maladie ou de torture dans les geôles d’Al-Assad.

Qui sont ces milliers de Syriens dont la vie a ainsi été broyée ? Amnesty International dénonce « une politique d’extermination » destinée à écraser par la terreur la moindre dissidence. C’est la logique de ce régime. Il ne peut supporter d’autre opposition que l’islamisme le plus radical, lequel justifie précisément l’existence dudit régime, présenté, à l’intérieur comme à l’extérieur, comme l’ultime bouclier face à la sauvagerie djihadiste. La barbarie des uns entretient celle des autres : telle est l’histoire du drame syrien. Celle d’une complicité dans le crime de masse.

Le régime et ses alliés russe et iranien, qui le tiennent à bout de bras, se réfugieront dans le démenti. Des négociations intersyriennes doivent reprendre le 20 février à Genève sous l’égide des Nations unies. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « horrifié » par le document d’Amnesty. Le moins que pourrait faire l’ONU serait d’ordonner une enquête indépendante dans tous les lieux de détention connus en Syrie.