Sur ses disques en solo, David Axelrod a conçu une matière musicale ou rythmique complexe, tension cinématographique, sections de cuivres et guitare fuzz côtoient chœur pastoral, funk hypnotique et musique religieuse. | DR

Le musicien, compositeur, réalisateur artistique et arrangeur américain David Axelrod, devenu, sans le vouloir, un pionnier du hip-hop grâce à ses mélanges de rythmes percutants, d’ambiances cinématographiques et d’orchestration baroques, échantillonnés par nombre des producteurs du genre, est mort d’une rupture d’anévrisme, le 5 février, à l’âge de 83 ans.

Oublié depuis la seconde moitié des années 1970, David Axelrod serait sans doute encore resté longtemps dans l’ombre sans les obsessionnels fouilleurs de bacs à disques que furent les DJ des années 1990, avides de trouver raretés et autres bizarreries rythmiques et musicales à sampler pour les bandes-son de leurs complices rappeurs. En précurseurs, des producteurs et groupes tels De La Soul, The Beatnuts ou DJ Shadow comprirent ainsi quels trésors pouvaient recéler les musiques composées ou arrangées par ce Californien, excentrique visionnaire des mélanges jazz, soul, musique classique et rock psychédélique. Avant que quantité d’autres alchimistes et artistes du hip hop _ Kool G Rap, Ghostface Killah, DJ Premier, Lauryn Hill, A Tribe Called Quest, Lil Wayne, Mad Lib, Cypress Hill, Dr Dre… _ ne piochent à leur tour dans ce catalogue atypique. Apprenant la mort d’Axelrod, le célèbre batteur du groupe The Roots a d’ailleurs posté sur Instagram : « Si triste d’apprendre la disparition du musicien et producteur David Axelrod. Il était si immergé dans la créativité, si pur dans ses arrangements. Il était le hip hop ».

Le producteur et directeur artistique tisse des liens entre jazz, soul et rhythm’n’blues

Après tout, le monsieur n’était-il pas né, le 14 avril 1933, à South Central, quartier de Los Angeles, appelé à devenir dans les années 1990, un des principaux viviers du gangsta-rap américain ? Fils d’un militant syndicaliste, David Axelrod connait une révélation lors d’un séjour à New York, happé par la scène jazz des années 1950. De retour à Los Angeles, il se consacre à cette nouvelle passion en intégrant le milieu de la production discographique et des studios d’enregistrement.

En 1959, le jeune homme réalise son premier album, The Fox, avec le saxophoniste, Harold Land. Engagé en 1963 par les disques Capitol comme producteur et directeur artistique, Axelrod tisse des liens entre jazz, soul et rhythm’n’blues en participant aux succès du chanteur Lou Rawls (Love Is a Hurtin’ Thing, Dead End Street…) et au tube crossover du saxophoniste Julian Cannonball Adderley, Mercy, Mercy, Mercy, composé par le pianiste autrichien Joe Zawinul.

David Axelrod / David McCallum "House of mirrors"
Durée : 02:22

L’arrangeur multiplie ensuite des projets où s’expriment son goût des mélanges extravagants comme lors de la paire d’albums instrumentaux réalisés avec l’acteur écossais David McCallum (l’espion blondinet Illya Kouriakine de la série Des Agents très spéciaux), ou figure entre autres The Edge, dont Dr Dre tirera un gimmick tubesque; ou à l’occasion de la messe rock, Mass in F Minor, qu’il produit (et fait jouer par ses propres musiciens), en 1967, pour le groupe psychédélique, The Electric Prunes.

« Songs of Innocence » 

Il peaufine à cette occasion un son et des partis pris qui deviennent sa marque de fabrique quand il se lance dans ses propres albums solos. Dans Song of Innocence (1968) et Songs of Experience (1969), dyptique consacré au poète William Blake, puis dans le contemplatif et écolo Earth Rot (1970), dans Heavy Axe (974) ou dans Messiah, sa version d’un oratorio d’Haendel, qui ne rapportent, à l’époque, aucun succès, le producteur conçoit une matière musicale ou rythmiques complexes, tension cinématographique, sections de cuivres et guitare fuzz côtoient chœur pastoral, funk hypnotique et musique religieuse.

David Axelrod - Urizen
Durée : 04:01

« Je suis un amoureux éperdu de la musique religieuse, qui est à l’origine de tout, et j’ai ensuite admiré Berlioz, Stravinsky, Ellington ou les Beatles » confiait-il un jour au journaliste Christophe Conte, du magazine Les Inrockuptibles. « J’ai toujours procédé selon une méthode unique, en écrivant chaque partie dans ma tête, en sachant le placement de tous les instruments et de toutes les parties vocales à l’avance. Quand j’entre en studio, j’ai déjà entendu en moi ma musique, il ne reste plus qu’à la jouer. »

Remis en selle par les DJ du hip-hop, David Axelrod sort en 2001 un album éponyme, publié par l’innovant label Mo’Wax du producteur James Lavelle, réorchestrant plusieurs phases rythmiques de ses anciennes compositions. Il réalise un remix de la chanson Rabbit in your Headlights du collectif U.N.K.L.E., chantée par Thom Yorke de Radiohead, et signe avec Blue Note, label historique de ses premiers amours jazz, qui ne sort finalement qu’un seul album, The Edge (2005), compilation de ses œuvres de producteur.

En 2004, le Ether festival lui donne la rare occasion de diriger plusieurs de ses œuvres solos sur la scène du Royal Festival Hall de Londres. Le concert, où il est rejoint, le temps d’un morceau par le chanteur Richard Ashcroft, du groupe The Verve, est publié en CD et DVD, Live at the Royal Festival Hall. Une santé fragile l’éloignera ensuite de ses activités artistiques. Sans qu’il cesse d’être une source d’inspiration pour les producteurs d’aujourd’hui.