Des scientifiques à la Ferme urbaine lyonnaise (FUL), sur le campus de l’INSA, à Villeurbanne. | JEFF PACHOUD/AFP

Il ne subsiste ici aucune trace de l’histoire pourtant chargée de cet ancien camp militaire affecté à la cavalerie, puis occupé par l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale, avant d’être rasé après 1945. Sur ce terrain d’une centaine d’hectares, bordé par le parc de la Tête d’Or sur le flanc ouest, par celui de la Feyssine et par le périphérique qui longe le Rhône au nord, se dresse aujourd’hui un des plus grands campus de France, celui de LyonTech-la Doua, à Villeurbanne. Depuis la fin des années 1950, des dizaines d’immeubles et de résidences qui évoquent l’architecture du Berlin-Est d’après guerre se dressent dans cette immensité urbaine, portant parfois les stigmates d’un vieillissement prématuré.

Le campus de la Doua abrite pourtant plusieurs établissements emblématiques, fleurons de l’enseignement supérieur français : l’université Lyon-I (sciences et technologies, staps, médecine), l’Institut national des sciences appliquées (INSA) et l’Ecole supérieure de chimie, physique et électronique de Lyon (CPE). « Environ 22 000 personnes au total, 40 % du potentiel scientifique lyonnais, 80 laboratoires de recherche, 1 500 chercheurs et 1 300 doctorants », énumère la présentation de l’université de Lyon (UdL). Une ville dans la ville.

Une ruche bourdonne dans le béton

Au cœur de cette cité de bitume, le bâtiment la Rotonde, sis au 1, rue des Humanités, accueille une étrange petite ruche dans son enceinte circulaire : la FEE (prononcer « Fée ») – la filière étudiant entrepreneur. Ici, depuis 1999, des étudiants de l’INSA et, depuis 2015, des étudiants de l’université Lyon-I passent un semestre entier à développer une idée d’entreprise.

« Cette filière a été créée à la fin des années 1990, lorsque les ingénieurs de l’INSA se sont mis à développer des sites Web tous azimuts. Les entreprises qui se les arrachaient n’étaient ni des artisans ni des petits commerçants. Il a fallu donner quelques bases en négociation commerciale aux ingénieurs de l’INSA », explique l’énergique directrice de la FEE, Béatrice Frezal, à l’origine de la filière. Cette diplômée de l’EM Lyon se dit très inspirée par les sciences cognitives et les méthodes pédagogiques observées aux Etats-Unis : serious games (« jeux sérieux »), prototypage de produits et interactivité entre étudiants et encadrants. A la FEE, on trouve pêle-mêle des peluches, des Lego, un atelier de bricolage, des murs qui roulent et sur lesquels on peut écrire ainsi que des cloisons amovibles.

Audrey Gauthier et Jérémy Crost, deux anciens étudiants de l’université Lyon-I, ont passé un semestre dans ce laboratoire miniature de l’entrepreneuriat. Ils se sont rencontrés pendant leurs études de biologie. En 2015, lors de leur dernière année de master, ils décident d’entrer à la FEE pour lancer leur bière artisanale, une idée née au milieu des tubes à essai dans les laboratoires de Lyon-I. « Nous sommes arrivés à la FEE assez sûrs de nous, avec un concept et un business plan. Nous avons été sélectionnés. Et puis nous avons appris à douter de nous et avons modifié notre business model », explique Jérémy Crost, cofondateur de Beer Tales. « Nous voulions créer notre microbrasserie et développer nos propres souches de levure, qui doivent être conservées six mois avant d’être utilisées : économiquement, aucune de ces deux idées n’était viable », ajoute Audrey Gauthier.

Un autre rapport au travail

La FEE n’est pas la seule « ruche » de la Doua. A quelques centaines de mètres de là, perdu entre deux barres d’immeubles, un autre laboratoire de l’entrepreneuriat étudiant s’est installé depuis 2014. Beelys, le plus important incubateur du programme Pépite (Pôle étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat), accompagne presque 130 étudiants et jeunes diplômés de la région. Ils viennent ici pour se former à l’entrepreneuriat ou faire évoluer les idées matures en start-up. A l’heure du déjeuner, le bourdonnement des conversations de créateurs d’entreprise en devenir résonne dans la salle à manger. Une vingtaine de jeunes entrepreneurs, data scientist, agronomes, designers, ingénieurs, développeurs s’installent autour d’une grande table rectangulaire et discutent à bâtons rompus d’intelligence artificielle, d’optimisation fiscale, de référencement, de bourse BPI France (Banque publique d’investissement).

« J’ai eu une prise de conscience écologique pendant mes études. Pour aller au bout de mon projet, j’ai quatre emplois en même temps »

Eléonore Blondeau, fraîchement diplômée de l’EM Lyon, mise impeccable, vient de retrouver à Beelys Lionel Amieux, jeune designer en jeans et baskets. Ensemble – elle au développement commercial et lui au développement technique –, ils ont inventé une machine qui permet de distribuer et de laver automatiquement des verres réutilisables. La diplômée de l’EM Lyon raconte sans langue de bois les sacrifices auxquels elle consent pour construire son entreprise. « J’ai eu une prise de conscience écologique pendant mes études. Pour aller au bout de mon projet, j’ai quatre emplois en même temps. Mais je suis habituée, car je travaille depuis l’âge de 15 ans ! Ces six prochains mois sont cruciaux ; tant pis pour ma vie privée ! »

Jules Dourson, ingénieur en génie industriel de l’INSA passé par la FEE, vient lui aussi rencontrer ses associés à Beelys. Ils ont mis au point une application de géolocalisation d’événements. « J’ai besoin de me sentir utile et de participer à ma façon à la rencontre entre les gens », raconte ce jeune entrepreneur né en Thaïlande, qui a grandi en Guadeloupe et a étudié au Brésil et en Chine. « Voilà une génération qui réinvente son rapport au travail. Tous ces étudiants ont un parcours académique qui leur permettrait clairement d’accéder à des postes intéressants en entreprise », analyse Charles Basset, responsable de l’incubateur Beelys, qui les accompagne au quotidien dans leur recherche de financement et leurs questionnements. Alain Asquin, le directeur du Pépite, appuie : « Les jeunes créateurs d’entreprise qui sont accompagnés ici ont tous un point commun : ils ont la volonté de maîtriser leur destin et de ne pas attendre qu’on leur offre un poste intéressant. »

Participez à « O21, s’orienter au XXIe siècle »

Comprendre le monde de demain pour faire les bons choix d’orientation aujourd’hui : après Lille ( les 6 et 7 janvier), « Le Monde » organise son nouvel événement O21 à Cenon (près de Bordeaux, les 10 et 11 février au Rocher de Palmer), à Villeurbanne (les 15 et 16 février) et à Paris (4 et 5 mars, à la Cité des sciences et de l’industrie). Deux jours pendant lesquels lycéens et étudiants peuvent échanger avec des dizaines d’acteurs locaux innovants, qu’ils soient de l’enseignement supérieur, du monde de l’entreprise ou des start-up.

Pour participer à une ou plusieurs conférences et ateliers, il suffit de s’inscrire gratuitement en ligne, à O21 Cenon, O21 Villeurbanne et O21 Paris. Le ministère de l’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les enseignants et établissements peuvent y emmener leurs élèves sur le temps scolaire. Pour les classes ou les associations, les inscriptions s’effectuent de façon groupée par l’envoi d’un simple e-mail à l’adresse o21lemonde@lemonde.fr.

Lors de ces événements sont également diffusés des entretiens en vidéo réalisés avec trente-cinq personnalités de 19 ans à 85 ans qui ont accepté de traduire en conseils d’orientation pour les 16-25 ans leur vision du futur.

Placé sous le haut patronage du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, O21 est également soutenu, au niveau national, par quatre établissements d’enseignement supérieur (Audencia, l’Essec, l’Epitech, et l’alliance Grenoble école de managementEM Lyon). Localement, l’événement est porté par les conseils régionaux des Hauts de France, de Nouvelle Aquitaine et d’Ile-de-France, les villes de Cenon et de Villeurbanne et des établissements d’enseignement supérieur.