L’ancien président péruvien Alejandro Toledo, à Washington,  en juin 2016. | MANDEL NGAN / AFP

L’inculpation du premier ex-président compromis dans l’affaire Odebrecht a été prononcée à Lima, jeudi 9 février. Un juge a signé le mandat d’arrêt et une demande de détention provisoire pendant dix-huit mois d’Alejandro Toledo, au pouvoir au Pérou entre 2001 et 2006. Il aurait touché 20 millions de dollars (18 millions d’euros) en pots-de-vin versés par l’entreprise brésilienne Odebrecht, soucieuse de s’assurer la construction de la route interocéanique qui relie le Pacifique et l’Atlantique. Il est accusé de trafic d’influence et de blanchiment d’argent.

Le scandale qui ébranle le Brésil depuis 2014 est devenu un raz-de-marée international, à l’image d’Odebrecht, une multinationale qui a lancé ses opérations à l’étranger en Angola et au Pérou, depuis 1979. A l’origine, cette affaire de corruption concernait l’entreprise pétrolière brésilienne Petrobras et les géants du bâtiment et travaux publics (BTP) qui avaient formé un cartel pour se partager les marchés publics. Au passage, des hommes politiques de tout bord étaient arrosés.

Aveux

Odebrecht, numéro un du BTP brésilien, a été la dernière à se mettre à table. Les déclarations de soixante-dix-sept de ses dirigeants et cadres aux enquêteurs brésiliens tiennent désormais en haleine le monde politique à Brasilia, mais compromettent aussi de nombreux personnages dans une douzaine de pays, d’autant que la justice américaine s’est saisie de l’affaire et a arraché à Odebrecht un accord de coopération.

Au Pérou, la justice et le Congrès ont réagi très vite aux premières révélations concernant les trois présidences d’Alejandro Toledo, Alan Garcia (2006-2011) et Ollanta Humala (2011-2016). Lima a même adopté le nom de l’opération « Lava Jato » (« lavage express »), l’enquête judiciaire qui a dévoilé le scandale Petrobras-BTP au Brésil. Odebrecht a reconnu avoir versé 29 millions de dollars à des Péruviens. Une commission parlementaire d’enquête a été formée. Le parquet a ouvert une investigation sur les ramifications de l’affaire au Pérou.

L’ancien représentant de l’entreprise brésilienne à Lima, Jorge Barata, est passé aux aveux. D’après lui, les 20 millions de dollars destinés à M. Toledo ont été virés sur des comptes offshore par le biais d’un prête-nom, Yossi Maiman, un homme d’affaires israélien. Les enquêteurs péruviens ont procédé à des vérifications auprès de banques au Panama, au Costa Rica et aux Etats-Unis, ainsi qu’à une perquisition au domicile de M. Toledo à Lima.

Comme l’ancien président est à l’étranger, le mandat d’arrêt devait être communiqué à Interpol. Interrogé lors d’un récent passage à Paris, M. Toledo a démenti les accusations, qu’il a attribuées à ses « ennemis ». Il dispose d’un poste à l’université de Stanford, en Californie, et séjourne souvent aux Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle le juge Richard Concepcion a signé la prison préventive, car l’inculpé dispose de facilités pour échapper à la justice.

Le président péruvien, Pedro Pablo Kuczynski, dit « PPK », a, lui aussi, réagi très vite. Il a demandé à Odebrecht une compensation financière pour n’avoir pas respecté ni les délais ni les budgets impartis à ses travaux. La route interocéanique, budgétée à 800 millions de dollars, a fini par coûter plus du double. « PPK » a promis d’expulser Odebrecht du Pérou et a demandé une modification de la réglementation des appels d’offres pour éviter que l’Etat puisse signer des contrats avec des firmes corrompues.

Au tour du chantier de Lima ?

Le chantier du métro de Lima est aussi dans le collimateur. Les travaux ont été attribués pour une somme de 410 millions de dollars, mais ont coûté en fin de compte 519 millions. Enrique Cornejo, ancien ministre des transports d’Alan Garcia, est soupçonné. Selon le quotidien Folha de Sao Paulo, la campagne électorale d’Ollanta Humala, qui a compté avec l’aide de conseillers brésiliens, aurait reçu 3 millions de dollars d’Odebrecht. Son épouse, Nadine Heredia, est soupçonnée par le parquet de Lima d’avoir favorisé l’attribution au groupe de BTP du gazoduc du Sud, dont le coût s’élève à 7 milliards de dollars.

Au Brésil, l’enquête « Lava Jato » s’intéresse à deux anciens présidents, José Sarney (1985-1990) et Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010). En Colombie, la campagne électorale de l’actuel chef de l’Etat, Juan Manuel Santos, est soupçonnée d’avoir bénéficié des largesses d’Odebrecht. Au Panama, le président Juan Carlos Varela est dans le même cas. La vague anticorruption est devenue un tsunami.