Navigation en eaux agitées : c’est ainsi que la Commission européenne a introduit, lundi 13 février, sa communication sur ses « prévisions économiques » d’hiver concernant l’Union européenne (UE). C’est tout dire…

Si le lent retour à la croissance se confirme partout, avec une hausse attendue du produit intérieur brut (PIB) de l’UE à 1,8 % en 2017 et en 2018, et de respectivement 1,6 % et 1,8 % pour la seule zone euro ces deux prochaines années, de très grosses incertitudes planent désormais sur l’économie européenne. A commencer par le Brexit (la sortie du Royaume-Uni de l’UE), qui n’a toujours pas eu lieu.

La plupart des acteurs économiques restent encore dans l’expectative alors que Londres doit « activer » d’ici fin mars l’article 50 des traités européens encadrant son divorce, et que la négociation qui s’ensuivra va durer au moins deux ans.

Bruxelles souligne aussi les incertitudes liées aux élections législatives aux Pays-Bas mi-mars, à la présidentielle en France en mai (tandis qu’à Bruxelles, de plus en plus de diplomates ont intégré le « risque » de voir Marine Le Pen élue présidente) et aux élections fédérales allemandes en septembre 2017. Sans compter la nouvelle administration du président américain Donald Trump et sa tentation d’élever des barrières douanières avec le reste du monde, ce qui pourrait avoir un impact direct sur les exportations européennes.

La croissance française plafonnera à 1,4 % du PIB en 2017

A court terme, et à politiques inchangées, le commissaire à l’économie, Pierre Moscovici, s’est néanmoins félicité, lundi, que le taux de chômage en zone euro continue de diminuer (9,6 % de la population active en 2017 et 9,1 % en 2018), même s’il reste au-dessus des niveaux d’avant la crise financière. Même satisfecit concernant la dette publique de l’eurozone, qui passera sous les 90 % du PIB en 2018 (89,2 %).

Derrière ces performances se cache une réalité toujours très contrastée, spécialement en zone euro. L’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg sont les trois seuls pays à enregistrer des excédents budgétaires (+ 0,4 % en 2017 pour l’Allemagne, + 0,2 % pour les Pays-Bas et le Grand-Duché). Dans le collimateur de la commission en 2016 pour non-respect de leurs engagements, l’Espagne devrait repasser en 2018 sous la barre des 3 % de déficit autorisé par le pacte de stabilité et de croissance et le Portugal stabiliser son déficit autour de 2 % de son PIB.

Mais l’endettement de Lisbonne reste à des niveaux conséquents (128,9 % de son PIB en 2017). Et si la commission est plutôt optimiste pour Athènes (elle prévoit une croissance de 2,7 % en 2017 et même de 3,1 % en 2018), le taux d’endettement du pays, toujours sous tutelle financière internationale, se situera encore à 177,2 % du PIB cette année.

Mention spéciale pour l’Italie, dont la dette publique s’est stabilisée à un niveau jugé bien trop élevé par Bruxelles (encore 133,3 % du PIB prévus en 2017). La commission est d’autant plus inquiète que la croissance du pays s’avère trop faible pour corriger cette tendance (seulement 0,9 % de hausse du PIB prévue en 2017), et que le secteur bancaire transalpin traverse de grandes difficultés (Monte dei Paschi di Siena attend toujours d’être recapitalisée).

La France, si elle n’est plus considérée comme le « mauvais élève » de l’Europe, reste quand même dans la queue du peloton. Sa croissance plafonnera à 1,4 % du PIB en 2017, en deçà de la moyenne en zone euro, et son endettement continuera à se rapprocher du seuil des 100 % (à 96,7 % en 2017).

Réputation de « pays à problème »

Son déficit public à politique inchangée devrait certes repasser sous les 3 % cette année (à 2,9 %) comme promis par Paris à Bruxelles, mais il franchirait de nouveau dès 2018 le plafond des 3 % (à 3,1 %). Ce qui empêchera la commission de sortir le pays de la procédure « pour déficits excessifs » assez stigmatisante à Bruxelles, impliquant une surveillance budgétaire rapprochée.

Ces chiffres, s’ils sont confirmés, montrent que la présidence Hollande n’a qu’à demi réussi son pari de redresser les finances publiques. Et à l’heure où Emmanuel Macron et François Fillon sont les seuls candidats à la présidentielle qui parlent de respecter le pacte de stabilité, la France conserve sa réputation de « pays à problème », qui risque d’handicaper le prochain gouvernement français dans ses discussions avec Bruxelles. Surtout s’il arrive avec plein d’idées de réformes de la zone euro mais sans engagements très fermes sur la conformité aux règles communes.

Beaucoup de décideurs européens concèdent que le pacte de stabilité est inadapté. Mais les pays qui s’y sont soumis (Espagne, Irlande) ou les fétichistes de la règle (Allemagne, Finlande, Pays-Bas) refusent d’admettre que la France, « parce que c’est la France », comme avait lâché dans un accès de franchise Jean-Claude Juncker, le président de la commission, en 2016, puisse s’y soustraire depuis maintenant neuf ans.