C’est le dernier grand chantier en date remporté par la Chine en Afrique : la construction du nouveau Parlement à Harare. Des travaux à 100 millions de dollars payés à 90 % par Pékin. Ce projet fait partie des douze « méga-contrats » décrochés récemment par la Chine au Zimbabwe et le signe que, malgré les risques politiques, Pékin mise toujours sur le régime Mugabe.

C’est la question que se pose Wang Xinsong, professeur à la Beijing Normal University. Ce jeune chercheur s’inquiète de voir le tour que prennent les investissements chinois à l’étranger. Il s’apprête donc à lancer une plate-forme pour évaluer les risques des investissements chinois en Afrique.

Pourquoi une telle stratégie ?

« Le Zimbabwe et l’Ethiopie sont certainement les deux pays les plus risqués, explique-t-il. Ce sont essentiellement des risques politiques que la Chine a encore du mal à appréhender. Il est par exemple étonnant de voir Sinosur [l’équivalent chinois de la Coface] déconseiller aux entreprises chinoises d’investir au Zimbabwe alors qu’officiellement beaucoup de nos grandes entreprises d’Etat sont incitées à le faire. »

Pékin prévoit d’investir plus d’un milliard de dollars dans des chantiers d’infrastructures en Afrique et dans le reste du monde. Des projets qui visent des pays parmi les plus pauvres et les plus instables de la planète. Des projets financés à 90 % par des banques chinoises d’Etat et par des institutions comme la China Exim Bank, la banque chinoise d’import-export. « Mais ces investissements sont dominés par la volonté chinoise d’asseoir son influence internationale, plus que par des réels besoins », estiment les analystes de l’agence de notation Fitch.

« La Chine continue d’apprendre de ses erreurs et c’est très risqué. La Chine doit prendre conscience des risques politiques en Afrique et mieux coordonner sa politique étrangère. » Wang Xinsong

« Le problème, explique le professeur Wang, tient dans le manque de coordination entre les différents acteurs chinois. Le ministère du commerce est certainement le plus influent, mais il ne lit pas les notes du ministère des affaires étrangères, qui lui-même ne travaille pas avec la défense et les services de renseignements. La Chine continue d’apprendre de ses erreurs et c’est très risqué. Les grandes entreprises d’Etat et les banques chinoises ne sont pas comptables publiquement de leurs échecs et elles suivent des directives parfois contradictoires. La Chine doit prendre conscience des risques politiques en Afrique et mieux coordonner sa politique étrangère. »

Le Zimbabwe n’a pas beaucoup d’amis, mais la Chine est l’un d’entre eux. Effrayée par l’instabilité politique, la Chine avait suspendu en 2015 ses nouveaux projets dans le pays. Mais le président Mugabe s’est rendu comme chaque année en visite privée en décembre 2016 en Chine et à Hongkong où sa famille possède une luxueuse villa. Il a obtenu à cette occasion un entretien privé avec le président Xi Jinping à Pékin et, immédiatement, l’ambassade de Chine à Harare annonçait la reprise des investissements.

L’une des raisons de ce soutien continu et aveugle est politique. Il date de la guerre de libération quand le Zanu-PF, le Parti national du Zimbabwe, recevait l’aide militaire et financière du régime communiste.

Alors que le Zimbabwe subissait les sanctions américaines et européennes pour avoir refusé la présence d’observateurs indépendants lors des élections en 2002, la Chine y investissait à tour de bras : 128 projets entre 2000 et 2013 pour un montant de près de 600 millions de dollars d’investissements directs chinois rien qu’en 2013. En 2015, la Chine devient le plus important partenaire commercial du Zimbabwe engloutissant 28 % des exportations du pays. Les entreprises chinoises y sont très présentes dans les télécommunications, les travaux publics et l’énergie.

La Chine profite-t-elle en retour de ses largesses ?

En 2015, le Zimbabwe a adopté la monnaie chinoise, le yuan renminbi, comme monnaie d’échange, devenant le premier pays – et à ce jour le seul à part la République populaire –, à utiliser la monnaie chinoise. Mais parallèlement, les lois d’indigénisation de 2007 exigent qu’au moins 51 % des parts des entreprises soient détenues par des Zimbabwéens. Une condition qui représente un obstacle majeur pour les investissements étrangers.

Fin 2016, les mines de diamants entre les mains d’entreprises étrangères ont ainsi dû fermer dans le cadre de ces lois d’indigénisation. C’est le cas des mines chinoises détenues par Anjin et Jinan, tout comme celles gérées par les Russes et les Sud-Africains. Pas de traitement de faveur pour le vieil ami chinois. Pourtant, ces mines gérées par deux entreprises proches de l’armée chinoise ont longtemps servi à contourner les sanctions et à financer le parti au pouvoir à Harare.

« La Chine a d’abord exprimé son mécontentement, souligne le professeur Wang. Mais elle n’a rien fait pour empêcher ces fermetures. La Chine risque de perdre l’ensemble de sa mise. Mais au lieu d’avoir une vision pragmatique, elle a une approche idéologique. »

Malgré ce chaos économique, l’inoxydable Robert Mugabe est d’ores et déjà en course pour un nouveau mandat en 2018. Le plus vieux chef d’Etat en exercice fêtera ses 93 ans le 21 février et la Chine a tout misé sur sa reconduction. Pour sa part, l’opposition zimbabwéenne incarnée notamment par le pasteur Evan Mawarire met le régime Mugabe et la Chine dans le même panier.

L’autre risque de ces investissements « aveugles » concerne l’image de la Chine. Si les sondages d’opinion indiquent que 55 % des Zimbabwéens citent la Chine comme « pays étranger le plus influent chez eux », ils ne sont que 48 % a estimer cette influence positive. Plus de 31 % des sondés interrogés pensent même que l’influence chinoise est très négative.

« La Chine est trop associée à l’image du régime Mugabe et elle n’exerce finalement aucune influence réelle dans le pays. Un changement de régime entraînerait des pertes considérables pour Pékin », conclut le professeur Wang.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.