Manifestation devant le siège du gouvernement roumain à Bucarest, dimanche 12 février 2017. | DANIEL MIHAILESCU / AFP

Manifestation colorée à Bucarest, dimanche 12 février. Bleu, jaune, rouge : des dizaines de milliers de manifestants ont formé dans la capitale roumaine un drapeau géant du pays, illuminé par leurs téléphones portables pour réclamer la démission du gouvernement qu’ils accusent de miner la lutte contre la corruption.

Bravant des températures glaciales pour le treizième jour consécutif, près de 80 000 personnes, dont de nombreux jeunes et des familles venues parfois avec leur chien, sont descendues dans les rues des grandes villes de Roumanie pour exprimer leur défiance face à l’exécutif social-démocrate et « défendre l’Etat de droit ». A Bucarest, ils étaient jusqu’à 50 000 rassemblés devant le siège du gouvernement, place de la Victoire, scandant en choeur « voleurs » et « démission », selon les estimations de plusieurs médias roumains dont la télévision publique, les autorités ne donnant pas de chiffres.

Appel lancé sur les réseaux sociaux

A 21 heures locales (20 heures heure de Paris), les protestataires ont tenu le défi lancé sur les réseaux sociaux en formant un immense drapeau roumain grâce à des panneaux de couleurs illuminés par les lumières des téléphones portables. « Nous voulons défendre l’Etat de droit dans ce pays », a expliqué à l’AFP Gheorghe Badescu, un médecin d’une petite ville à 100 km de Bucarest venu manifester avec son fils, Ionut. « Les Roumains veulent être représentés par des gens honnêtes », a renchéri Ionut, médecin en Grande-Bretagne.

Dans le reste du pays, près de 30 000 personnes ont défilé, dont 10 000 à Cluj, la grande ville de Transylvanie, 4 000 à Timisoara (ouest) et 5 000 à Sibiu (centre).

Moins d’un mois après son investiture, le gouvernement roumain dirigé par le Parti social-démocrate (PSD) a suscité un mouvement de contestation populaire sans précédent depuis la chute du communisme en 1989 après avoir pris le 31 janvier, de nuit et en catimini, un décret assouplissant la législation anticorruption. Celui-ci aurait permis aux fonctionnaires et aux responsables politiques d’échapper à des peines de prison en cas d’abus de pouvoir constituant un préjudice inférieur à 44.000 euros. Le chef du PSD, Liviu Dragnea, poursuivi pour abus de pouvoir aurait ainsi pu échapper à une condamnation, selon ses détracteurs.

Le gouvernement a affirmé avoir agi pour mettre en conformité le Code pénal avec des demandes de la Cour constitutionnelle. Mais des milliers de Roumains ont exprimé leur colère depuis. Ils ont été jusqu’à un demi-million dimanche dernier, un record. L’Union européenne a elle aussi vertement critiqué l’exécutif roumain pour ces mesures.

Un « carton rouge » au gouvernement

Face à la fronde, le gouvernement a reculé et abrogé le décret il y a une semaine. Mais l’abrogation doit encore être validée par le Parlement où les sociaux-démocrates ont une large majorité. Le ministre de la Justice Florin Iordache, artisan du décret, a quant à lui démissionné jeudi.

« Nous voulons donner un carton rouge au gouvernement. La démission du ministre de la Justice ne suffit pas après ce qu’il a tenté de faire, ni l’abrogation du décret », a expliqué à l’AFP un des manifestants, Adrian Tofan, un entrepreneur de 33 ans. « Nous n’avons plus confiance. On doit avoir des élections anticipées », a estimé Andreea Moldovan, une médecin qui a fait plus de 170 kilomètres avec son mari pour manifester. « Il faut au moins un pacte pour que les dirigeants s’engagent à ne plus toucher à la justice », souligne son mari, Bogdan, lui aussi médecin.

Après avoir travaillé à l’étranger, ils ont choisi de revenir dans leur pays mais ne veulent « pas d’un retour 30 ans en arrière » dans un système où la corruption de haut niveau était tolérée.

Entrée dans l’UE en 2007, la Roumanie a intensifié sa lutte contre la corruption il y a quelques années. De nombreux ministres ont été condamnés à des peines de prison ferme pour des abus et le parquet national anticorruption est devenue une des institutions dans lesquelles les Roumains ont le plus confiance.

Un peu plus tôt dans la journée, environ 1.000 personnes ont manifesté devant le palais présidentiel demandant la démission du chef de l’Etat Klaus Iohannis. Issu d’un parti opposé au PSD, ce dernier a critiqué les mesures du gouvernement, descendant même dans la rue un soir pour défendre la lutte contre la corruption.