Benjamin Nétanyahou, le 12 février à Jérusalem. | GALI TIBBON / AFP

C’est entendu : Israël est un Etat souverain. Mais la visite officielle de Benyamin Nétanyahou à Washington, à compter du mardi 14 février, revêt une importance rare, à la fois pour son destin politique et celui de son pays. En rencontrant le nouveau secrétaire d’Etat Rex Tillerson mardi, mais surtout Donald Trump à la Maison Blanche le lendemain, le chef du gouvernement israélien vient chercher, en quelque sorte, sa lettre de cadrage auprès du protecteur américain. L’heure est enfin venue ; la brume doit se lever, un mois après l’investiture. M. Nétanyahou veut mieux cerner la ligne que compte suivre Washington dans le conflit israélo-palestinien et sur les colonies en Cisjordanie, mais aussi sa vision des équilibres régionaux et son plan face à la menace iranienne.

Face à l’imprévisibilité de Trump

M. Nétanyahou n’a pas officiellement renié son discours de Bar-Ilan, tenu en 2009, dans lequel il se disait favorable à un Etat palestinien démilitarisé, reconnaissant Israël comme Etat juif. Mais les gestes qu’il consent depuis les élections de 2015 s’inscrivent au profit des colons. Le chef du gouvernement affirme que la colonisation ne constitue pas un obstacle à la paix et rejette la responsabilité de l’impasse actuelle sur les dirigeants palestiniens. La droite nationale religieuse, elle, veut davantage. Elle aimerait que M. Nétanyahou enterre l’expression « Etat palestinien » et tourne la page des accords d’Oslo (1993).

Lui est resté mystérieux sur ses intentions, avant son départ. Dimanche, en marge du conseil des ministres, le chef du gouvernement s’est auto-congratulé pour la « façon prudente » avec laquelle il s’était toujours mû dans les relations avec les Etats-Unis. Doté d’une résilience rare, Benyamin Nétanyahou veille à sa survie politique. Confronté à des enquêtes mettant en cause sa probité et son mode de vie, il pourrait être visé par une inculpation dans les prochaines semaines, prédit la presse israélienne. Dans ces conditions, il veut utiliser sa proximité avec la Maison Blanche pour desserrer l’étau que lui impose le Foyer juif, la formation nationaliste de Naftali Bennett, et la majorité de son propre parti, le Likoud. Lui ou le chaos : tel est, plus que jamais, son mantra.

Malgré la proximité dont s’enorgueillit M. Nétanyahou avec Donald Trump, le premier ministre souffre du même inconfort que les autres dirigeants du monde : l’imprévisibilité du président américain. « Pour l’instant, les pièces du puzzle ne sont pas du tout assemblées à la Maison Blanche », résume un ancien diplomate israélien en poste en Washington. Pour sa part, le professeur Eytan Gilboa, chercheur au Centre Begin-Sadat pour les études stratégiques, souligne que le contexte a changé en bien pour Israël.

« L’environnement sera plus amical à la Maison Blanche, dit-il. Sur les dossiers clés comme les Palestiniens, la Syrie et l’Iran, il existe bien plus de convergences. Trump et Nétanyahou partagent les mêmes valeurs et une vision du monde, selon laquelle on peut distinguer les amis des ennemis. Obama, lui, faisait la cour à l’Iran pour signer l’accord sur le nucléaire et négligeait les alliés arabes. »

Recentrage tactique ?

L’un des révélateurs intéressants de la stratégie en gestation dans l’administration Trump sera l’audition du candidat choisi pour le poste d’ambassadeur en Israël, David Friedman. Il sera interrogé le 16 février par la commission des affaires étrangères du Sénat. Ce fervent partisan de la colonisation, opposé à un Etat palestinien, fera-t-il le deuil public de ses convictions ? Depuis l’arrivée de M. Trump à la Maison Blanche, l’euphorie de la droite nationale religieuse israélienne, qui espérait une impunité diplomatique pour développer les colonies, a été un peu refroidie. « Ce qui a commencé comme un discours révolutionnaire chez Trump est devenu un retour aux fondamentaux, avec un seul ajout, une tolérance pour les constructions dans les blocs de colonies », souligne une source diplomatique israélienne.

Contrairement à la tradition, Washington n’a pas condamné sur-le-champ, fin janvier, l’annonce de deux vagues importantes de constructions dans les implantations en Cisjordanie. Mais dans un entretien accordé au quotidien Israel Hayom le 12 février, Donald Trump a confirmé une forme de continuité avec les administrations précédentes. Soulignant qu’il a toujours eu « une bonne alchimie » avec M. Nétanyahou, il a aussi reconnu que le déménagement éventuel de l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem « n’est pas une décision facile ». Quant aux colonies, « elles n’aident pas le processus » de paix.

S’agit-il d’un simple recentrage tactique, pour ne pas apparaître comme trop ouvertement pro-israélien, avec le risque de heurter les puissances sunnites ? « Ce retour à une approche plus traditionnelle ne correspond pas aux positions de telle ou telle administration, mais aux intérêts américains profondément ancrés, note Daniel Shapiro, qui était l’ambassadeur des Etats-Unis à Tel Aviv jusqu’en janvier. La Maison Blanche reconnaît ainsi que si elle veut atteindre l’accord ultime, elle doit prendre en compte les intérêts des Palestiniens et des pays arabes. »

Menace iranienne

Donald Trump, comme ses prédécesseurs, se rêve en faiseur de paix dans le conflit des conflits. Il croit que son passé de négociateur dans les affaires lui sera d’une grande utilité et que son gendre, Jared Kushner, sera le meilleur des émissaires. « La stratégie américaine consiste à redevenir le seul médiateur et à bloquer l’entreprise palestinienne visant à une internationalisation du conflit dans les forums comme l’ONU », résume le professeur Eytan Gilboa. C’est la raison pour laquelle Washington vient de bloquer la désignation de l’ex-premier ministre palestinien, Salam Fayyad, au poste d’émissaire pour la Libye, voulue par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Un geste purement tactique, qui n’a rien à voir avec le profil indiscutable de l’intéressé.

L’un des sujets essentiels entre MM. Trump et Nétanyahou devrait être la menace iranienne, et notamment ses missiles longue portée. Israël souhaite éviter une implantation iranienne durable en Syrie, qui représenterait un réel danger. M. Nétanyahou n’incite pas à un abandon pur et simple de l’accord sur le nucléaire iranien, que l’appareil militaire israélien ne souhaite d’ailleurs pas. Mais il réclame une pression redoublée – financière, politique et militaire – pour empêcher le régime iranien de développer librement ses visées régionales hégémoniques.