Un coeur artificiel Carmat, le 14 février. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

C’est un épisode « extrêmement fâcheux », a expliqué Stéphane Piat. Mardi 14 février, lors d’une conférence de presse, le directeur général de Carmat a levé le voile sur le décès d’un patient auquel un cœur artificiel avait été implanté le 26 août 2016. Quarante-sept jours après son opération, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre son domicile, cet homme de 68 ans est décédé dans sa chambre d’hôpital après avoir manipulé les batteries de sa prothèse. Bien que formé à son utilisation, « il a pris l’initiative de changer seul les batteries » et « a fait une erreur de manipulation sans prendre la précaution de remettre la prothèse » sur l’alimentation « secteur », a expliqué M. Piat. Faute d’alimentation électrique, et malgré le système d’alarme, le cœur artificiel de ce patient s’est arrêté. Il s’agit d’une erreur humaine, assure le dirigeant, qui ne remet pas en cause les essais de faisabilité du cœur artificiel total Carmat obtenus après quatre implantations de patients consécutives depuis 2013.

Depuis le décès de ce cinquième patient, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a demandé à Carmat des éléments complémentaires pour poursuivre son étude dite Pivot, préalable à un marquage CE (certification européenne) de son cœur artificiel. Ses demandes portent notamment sur « des éléments techniques », avance M. Piat, sans plus de précisions. Les délais impartis par l’ANSM – « sous 35 jours » – étaient trop courts, assure-t-il. A l’en croire, la société a préféré suspendre son étude, de peur de se voir interdire de la poursuivre par les autorités de santé publique. Elle espère redéposer une demande d’essai clinique « prochainement » auprès de l’ANSM, avance M. Piat. « L’idéal serait dans un délai de deux à trois mois », observe le professeur Christian Latrémouille, cardiologue, consultant auprès de la société.

« Le risque zéro n’existe pas »

Parallèlement, Carmat a approché la FDA (Food and Drug Administration), l’agence américaine des médicaments, pour mener des essais aux Etats-Unis. « Une étude de faisabilité peut y être plus rapide », estime M. Piat.

La manœuvre est-elle une menace à l’encontre de l’ANSM ? Entre les lignes, Carmat regrette les précautions des autorités sanitaires françaises à son encontre. « Le risque zéro n’existe pas », a plaidé le professeur Daniel Duveau, chirurgien cardiaque, consultant auprès de la société, lors de la même conférence de presse. La formule est aussi celle de France Biotech.

Mardi 14 février, l’association qui défend les intérêts des entreprises des sciences de la vie a pointé « les freins réglementaires » et « l’évaluation inadéquate du bénéfice-risque » d’un nouveau médicament dans l’Hexagone. La France se range « en queue de peloton pour le nombre d’essais cliniques de nouveaux médicaments, loin derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique », déplore France Biotech, en citant les chiffres du registre européen des essais cliniques. La réglementation tricolore inciterait « à la délocalisation », juge-t-elle aussi. « Nous n’avons aucune volonté de délocaliser nos essais cliniques », assure cependant M. Piat, après avoir évoqué cette possibilité dans un entretien accordé au Parisien, le 6 février.

Le temps presse toutefois. Fondée en 2008 par le professeur Alain Carpentier, avec l’appui de Matra, Carmat, après quinze ans de recherche et 35 expérimentations d’implantation sur des veaux de 100 kg à 120 kg, est en retard sur son calendrier initial. Lors de son introduction en Bourse, en 2010, la société espérait commercialiser ses premières prothèses sous trois ans, en 2013, et s’imposer sur le marché de l’implantation cardiaque pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque terminale non éligibles à une greffe. Un potentiel de population que Carmat chiffre à plus de 100 000 personnes par an en Europe et aux Etats-Unis.

Pertes d’exploitation

Cette manne n’est toujours pas à portée de main. Carmat caresse l’espoir de boucler ses essais en 2018, d’obtenir un marquage CE à cette date et de vendre ses premières prothèses en Europe en 2019, puis aux Etats-Unis en 2020. Faute de chiffre d’affaires, la société affiche des pertes d’exploitation de 24,8 millions d’euros sur son dernier exercice. « Nous sommes une start-up », observe M. Piat. Et, à l’instar des jeunes pousses de l’économie numérique, Carmat vit sur ses levées de fonds. Menée en 2016, la dernière lui a apporté 50 millions d’euros. « Nous n’avons pas de problèmes de trésorerie », assure aujourd’hui son directeur général. Fin 2016, elle s’élevait à 31,2 millions d’euros. La société bénéficie aussi d’une ligne de crédit de 38,1 millions d’euros ainsi que d’un crédit d’impôt recherche de 2,8 millions d’euros. Carmat devra cependant « procéder à une augmentation de capital après le marquage CE », convient le fabricant. L’industrialisation de la prothèse Carmat nécessiterait alors 150 millions d’euros.

Dans l’intervalle, son rival SynCardia accélère. La société américaine a reçu un marquage CE en 1997, pour une première prothèse de 70 ml, puis un second en 2014, pour une version de taille réduite adaptée au gabarit des enfants et des femmes (50 ml). Toutes deux sont vendues 93 000 euros hors taxes. En Europe, près de 800 personnes ont bénéficié d’une implantation SynCardia, dont 375 en France. La société a récemment déposé une demande de remboursement de son cœur 50 ml auprès de la Haute Autorité de santé. Carmat juge cependant ne pas être en concurrence avec cette prothèse « sans intelligence, à flux fixe » que Syncardia implante à titre provisoire aux patients avant une éventuelle greffe. Aux yeux du directeur général de Carmat, cette prothèse a cependant un mérite : celui de « montrer que le concept de cœur artificiel peut fonctionner ».