A l’Assemblée nationale, le 31 janvier. | PHILIPPE LOPEZ / AFP

Editorial du « Monde ». Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, lundi 13 février, des parlementaires ont défié le Conseil constitutionnel en réintroduisant dans le code pénal une disposition, dans une version légèrement amendée, qui avait été censurée trois jours plus tôt par la plus haute juridiction, chargée de veiller au respect de la loi suprême, la Constitution.

Ce n’est pas tout à fait un hasard si cette initiative d’un groupe d’élus, sept sénateurs et sept députés, réunis au sein d’une commission mixte paritaire du Sénat et de l’Assemblée nationale, a trait à la sécurité publique et à la lutte contre le terrorisme : c’est un des principaux sujets de préoccupation des Français. En pleine campagne électorale, ce n’est pas anodin.

Message de bravade antiterroriste

La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme avait créé – contre l’avis du gouvernement – le délit de « consultation habituelle » des sites djihadistes sur Internet. Dans une décision rendue vendredi, le Conseil constitutionnel l’a censuré, estimant qu’il contrevenait à « la libre communication des pensées et des opinions » et que son caractère « nécessaire, adapté et proportionné » n’était pas suffisamment établi pour justifier une telle restriction à la liberté de communication. Il a enfin rappelé que l’abondant arsenal législatif antiterroriste en vigueur permettait déjà aux autorités de surveiller la consultation de tels sites.

La précipitation législative est une maladie contemporaine, souvent mauvaise conseillère

Ce groupe d’élus, emmené par Philippe Bas, président (LR) de la commission des lois du Sénat, avec le soutien du rapporteur socialiste pour l’Assemblée nationale, Yves Goasdoué, n’a eu cure de ces réserves, pas plus que du respect de la procédure parlementaire dont il s’est affranchi. Adresser directement à leurs électeurs, par ce geste, un message de bravade antiterroriste compte visiblement plus à leurs yeux que de participer à l’édification du droit dans le respect des règles constitutionnelles, ce qui devrait être leur première responsabilité.

La précipitation législative est une maladie contemporaine, souvent mauvaise conseillère. Les parlementaires auraient gagné à prendre davantage de temps pour réécrire ce texte. Mais, emportés sans doute par le contexte électoral, et soutenus par une opinion publique favorable à tout ce qui ressemble à un durcissement de la législation antiterroriste, ils sont passés en force, au risque de violer la procédure parlementaire et la Constitution.

Fâcheuse impression

La règle parlementaire dite de « l’entonnoir » interdit en effet de présenter un amendement après la première lecture dans chacune des assemblées, sur un sujet qui n’a pas été discuté dans le projet ou la proposition de loi. L’article 45 de la Constitution spécifie même qu’une commission mixte paritaire ne peut aborder que les dispositions encore en discussion. Or ce « délit de consultation » de sites djihadistes avait été voté dans la loi du 3 juin et nullement débattu dans le projet de loi « sécurité publique ».

Rarement le temps politique aura amené des responsables législatifs de premier plan à afficher ainsi, et aussi rapidement, leur mépris d’une décision du Conseil constitutionnel. Cela donne la fâcheuse impression que la Constitution, au lieu de protéger nos libertés et de garantir nos droits, serait une entrave. Alimenter ce climat en surfant sur les peurs des électeurs est dangereux, voire irresponsable, dans une période où l’Etat de droit doit être, au contraire, protégé et renforcé.