Capture vidéo de l’hôpital de MSF visé par des frappes aériennes le 15 février 2016, à Marat Al-Numan, en Syrie. | REUTERS TV / REUTERS

Médecins sans frontières (MSF), dont les hôpitaux sont victimes d’attaques en zone de guerre, est confrontée à un dilemme : comment prouver l’implication et l’identité de l’agresseur sans pouvoir se rendre sur place et sans qu’aucune enquête indépendante puisse être diligentée ? Pour tenter d’y répondre, le projet Forensic Architecture, créé à Londres en 2011, a transmis à MSF le fruit d’un travail réalisé sur l’ensemble des images amateurs filmées lors des frappes aériennes du 15 février 2016, à Marat Al-Numan, en Syrie, contre un hôpital de l’ONG française. Selon Forensic, qui a recoupé ses allégations avec des éléments du terrain transmis par l’Armée syrienne libre (ASL), les bombardements ont été effectués par la Russie et le régime syrien.

Ce jour-là, à 9 heures, l’équipe de jour de l’hôpital d’Hamidia, soutenu par MSF, croise celle de nuit quand le premier missile touche le bâtiment. Trois autres vont suivre. A 9 h 45, alors que les secours sortent encore les victimes et les blessés des décombres, d’autres frappes viennent les surprendre. C’est l’affolement. A 11 heures, le directeur de l’établissement se dirige avec des patients vers l’hôpital public de Marat Al-Numan. Quarante-cinq minutes plus tard, un autre avion lâche ses bombes dessus.

« Dénoncer les auteurs »

La méthode de Forensic est faite d’analyses minutieuses des images, y compris satellite, ainsi que des sons, bruits des avions ou propos des personnes entendues sur les enregistrements. Le tout permet d’avoir un récit des événements déterminant l’heure, le lieu et la nature de l’arme utilisée. Pour les frappes touchant le deuxième hôpital, une hypothèse est formulée, grâce aux documents visuels, sur l’avion alors en opération, un Mig-23 qui aurait décollé, d’après l’ASL, de l’aéroport d’Hama. Seul le régime syrien utilise ce type d’aéronef. Pour le premier, Forensic a dû travailler sur la seule base du bruit d’un chasseur volant à basse altitude qui serait, toujours selon l’ASL, parti de la base aérienne occupée par les Russes, à Hamaymen.

« La démonstration de Forensic n’est pas sûre à 100 % mais c’est mieux que rien, commente Mégo Terzian, le président de MSF France. Nous cherchons à connaître la vérité, je ne me fais aucune illusion sur une chance d’obtenir justice, ce travail permet de dénoncer les auteurs de ces faits criminels. » MSF disposait déjà de sa propre évaluation sur les faits. Une analyse balistique et le recueil de témoignages locaux avaient permis à l’ONG de savoir qu’il s’agissait d’une attaque aérienne par missiles et non par barils d’explosifs.

MSF avait défini le modus operandi sans distinguer l’identité de l’agresseur. La coalition russo-syrienne, après des combats, traque les véhicules transportant les blessés vers le centre MSF pour frapper le lieu de soins et les combattants. Puis, les survivants étant conduits vers l’hôpital public, une nouvelle frappe est déclenchée. Ces attaques participent d’une politique des autorités syriennes qui vise à empêcher toute normalisation dans les zones contrôlées par l’opposition. Une stratégie qui passe par la destruction des institutions, au premier rang desquelles les structures de santé. De mars 2011, date des premières manifestations anti-Assad, à juin 2016, l’ONG américaine Physicians for Human Rights a recensé 400 attaques contre des centres médicaux, dont 362 menées par l’armée syrienne et ses alliés russe ou iranien.

Pas de preuves formelles

Damas comme Moscou nient tout bombardement délibéré d’installations médicales. « En tant que gouvernement, nous ne menons pas de politique de destruction des hôpitaux, des écoles ou de toute infrastructure de ce genre », a déclaré Bachar Al-Assad en octobre 2016. En février 2016, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, avait déclaré que « ceux qui font de telles déclarations ne sont pas capables d’en apporter les preuves ».

« Notre enquête, comme le travail de Forensic constituent un faisceau d’indices et non des preuves formelles, admet Françoise Bouchet-Saulnier, directrice juridique de MSF, mais ils viendront appuyer, notamment vis-à-vis du Conseil de sécurité de l’ONU, nos demandes dinvestigations indépendantes, qui seules peuvent faire la lumière. » L’adoption, le 3 mai 2016, d’une résolution du Conseil de sécurité protégeant les personnels et les installations médicales lors des conflits ne semble pas avoir changé la donne. MSF a connu de nouvelles frappes contre ses hôpitaux au Yémen et en Syrie. Le 28 septembre, la présidente internationale de MSF, Joanne Liu, a fait état, devant le Conseil de sécurité, « de l’urgence de nommer un représentant spécial mandaté pour enquêter sur les attaques contre les hôpitaux » en zone de guerre.