Il est devenu l’un des visages et l’une des voix du mouvement de soutien à Théo L., ce jeune Aulnaysien victime d’un viol présumé par un policier le 2 février. Depuis trois jours, « Fianso », de son vrai nom Sofiane Zermani, 29 ans, décline les entretiens à BFM-TV ou à TMC. Les chaînes de la TNT le réclament depuis que des vidéos du rappeur lors de la manifestation du samedi 11 février à Bobigny sont devenues virales. Comme d’autres artistes, la nouvelle vedette de Seine-Saint-Denis était présente au rassemblement pour demander « justice pour Théo ».

Ce soir-là, en compagnie de Youssoupha, Kery James ou Médine, Fianso participait d’ailleurs à La Cigale, à Paris, à un concert de soutien à la famille d’Adama Traoré, ce jeune homme de 24 ans mort à la suite d’une interpellation par les gendarmes à Beaumont-sur-Oise, cause pour laquelle il s’est engagé dès juillet 2016, en colère « contre les mensonges, contre les zones d’ombre » entourant cette affaire.

« Juste du bon sens »

A Bobigny, Fianso s’est illustré par deux fois lors de la manifestation avant qu’elle ne dégénère en scènes de violence. Tout d’abord au micro des organisateurs en se montrant rassembleur et pacifiste, puis sur le chemin du retour, face à un cordon de police. Une vidéo filmée à l’aide d’un téléphone portable le montre s’improvisant médiateur, parlementant avec les forces de l’ordre et demandant à ses troupes de se disperser pour que « les petits puissent dormir chez leur mère » : « Quand je suis parti du site, se rappelle Fianso, plein de gamins se sont mis à me suivre, ils voulaient des selfies, ça a fini par constituer un gros cortège. A un moment, quand je me suis retourné, j’ai réalisé qu’un paquet de gens criaient derrière moi “Justice pour Théo”. »

Le rappeur Sofiane calme la foule | Manif Bobigny Théo
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Après PNL, Jul et MHD, Fianso est le nouveau phénomène web du rap français. Depuis mai 2016, il tourne des vidéos dans toutes les cités réputées fermées de France (la Castellane à Marseille, les Musiciens aux Mureaux…) qu’il diffuse ensuite sur YouTube sous le hashtag #JesuispasséchezSo, cassant ainsi l’image des rappeurs ne représentant qu’une seule ville.

Dans le studio de son nouveau producteur, Tefa, compositeur des albums de Diam’s ou de Kery James, il raconte : « Nous sommes tombés sur une rangée de policiers qui nous barrait la route, certains nous mettaient en joue. J’ai regardé autour de moi, il y avait un enfant de 12 ans, l’autre de 16. J’ai crié aux policiers : Calmez-vous ! On a des excités dans nos rangs, vous en avez certainement aussi. Un gradé m’a demandé de m’approcher. Il m’a dit : Il faut 10 mètres entre vous et nous sinon je suis obligé de vous allumer. Tu me les tiens et moi je recule les miens. Je n’ai envie de tirer sur personne. Ce qu’on a fait, c’est juste du bon sens, comme quand tu fais traverser la route à une vieille dame. Je ne veux pas que les médias fassent de moi un Malcom X, je ne suis vraiment pas un exemple. »

« Je ne suis pas Tony Montana »

Les « Gremlins », comme Fianso appelle ces « mineurs excités qui font tout déborder à chaque fois », il les connaît bien, il a été l’un deux. Lui aussi, gamin, a participé activement aux émeutes de 2005 : « Elles n’ont servi à rien, analyse-t-il aujourd’hui, mais ça nous a fait du bien sur le coup et elles nous ont montré qu’on pouvait s’unir. »

Sofiane Zermani est né à Saint-Denis, a grandi au Clos Saint-Lazare à Stains, puis a déménagé à 13 ans à la cité Pierre-Sémard, au Blanc-Mesnil. Il est l’aîné d’une famille de six enfants. Sa mère, née en Algérie, a suivi son grand-père maçon en France, et est devenue secrétaire chez un distributeur de livres. Son père, kabyle, vend des vêtements dans les marchés.

Sofiane lit beaucoup grâce au métier de sa mère : « Ma première passion, c’est Molière, Shakespeare puis j’ai découvert Cyrano, Apollinaire, Descartes, mais je n’aimais pas l’école. » Il sèche beaucoup les cours et après le deuxième avertissement de la caisse d’allocations familiales, qui menace de supprimer les aides à ses parents, il finit par décrocher : « J’ai fait un million de petits boulots, poursuit-il, livreur de pizza, les marchés avec mon père et un million de conneries, aussi, mais je ne suis pas Tony Montana [le personnage du film Scarface, de Brian de Palma]. »

Il avoue, sur son casier judiciaire, quelques condamnations pour trafic de stupéfiants, des agressions et même un homicide involontaire après un accident de la circulation. Il ne sera condamné qu’à du sursis et à plusieurs mises à l’épreuve. Son goût pour l’écriture le dirige vers le rap. Il monte trois studios d’enregistrement, quai d’Ivry et porte de la Villette à Paris, loués 20 euros de l’heure. Il devient ainsi un des rouages essentiels « du rap de cité, de quartier, très dur », qui subsiste en autarcie et qui n’hésite pas à montrer les armes et le trafic.

Pour lui qui a réussi à filmer dans tous les quartiers en France en s’appuyant sur son réseau, les zones de non-droit n’existent pas : « C’est un fantasme, la police rentre où elle veut. Ce qu’on voudrait, c’est qu’un syndicat de police soit capable d’admettre que les bavures existent et que les policiers comme tous les humains font des erreurs. Et désolé de déranger les politiques dans leur petit confort, mais c’est fini l’époque où nous nous excusions même d’exister. Acceptez-nous comme nous sommes» « Pas de leader, juste un haut-parleur », rappait déjà NTM, il y a vingt-cinq ans.