François Fillon à Compiègne le 15 février. | FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

Depuis trois semaines, la campagne de François Fillon est un chemin de croix. Mercredi 15 février, il a vécu un supplice dans le supplice. A l’heure du déjeuner, sous l’objectif des caméras, le candidat à la présidentielle s’est engouffré en voiture dans le garage de l’immeuble de la rue de Miromesnil où Nicolas Sarkozy a ses bureaux. Oubliée la petite phrase du mois d’août 2016 – « qui imagine le général de Gaulle mis en examen » –, disparues les critiques sur le « président de faits divers »… L’homme censé porter les espoirs de la droite venait demander des conseils à cet ancien président dont il avait pourtant enfin réussi à s’affranchir depuis sa victoire à la primaire. « Il avait besoin de cette oreille », glisse, paternaliste, un proche de Nicolas Sarkozy rejoint par un Brice Hortefeux à la mémoire longue : « On pardonne mais on n’oublie pas. » Mercredi, pour M. Fillon, jamais le 8arrondissement n’avait paru aussi proche de Canossa.

Englué dans l’affaire de l’emploi d’assistante parlementaire de son épouse, le candidat à la présidentielle avait sollicité ce déjeuner. L’ambiance a été « franche et chaleureuse », selon les éléments de langage. Entre la poire et le fromage, Nicolas Sarkozy a surtout savouré chaque instant en jouant au vieux sage. Il a conseillé à son ancien « collaborateur » de mieux s’entourer, de faire monter Xavier Bertrand, François Baroin et Laurent Wauquiez au front. Bref, d’agir comme lui, d’être moins solitaire. A La Réunion, le week-end dernier, le candidat n’avait aucun ténor à ses côtés pour venir prêcher la bonne parole.

Dans l’après-midi, M. Sarkozy a ostensiblement reçu François Baroin dans ses bureaux. L’ancien président veut voir ses hommes placés. « L’union n’est pas une garantie de victoire mais c’est une condition. Des gestes ont été faits, ils doivent être poursuivis », estime Brice Hortefeux.

L’enjeu était en fait surtout du côté de François Fillon. Ses proches insistent sur le fait qu’il voulait demander à l’ancien président de calmer ses seconds couteaux, Georges Fenech ou Sébastien Huyghe, qui ont tenté de le déstabiliser, mardi matin, en réunion de groupe. Mais il était surtout venu chercher l’onction sarkozyste. En baisse dans les sondages, il est maintenant persuadé que le premier tour va être serré et qu’il ne passera que si le socle électoral tient bon. Et même si Nicolas Sarkozy a été sévèrement rejeté lors de la primaire par le peuple de droite, il reste un symbole pour la base la plus fidèle, celle qui ne partira pas chez Emmanuel Macron au premier vent judiciaire défavorable. En butte au scepticisme de sa propre famille politique, cela lui permet aussi d’apparaître comme un homme de rassemblement prêt à se réconcilier avec Nicolas Sarkozy, un homme qu’il comprendrait mieux depuis qu’il est touché par les affaires. « Le fait d’avoir connu six heures d’audition, ça change son regard sur ce que Nicolas Sarkozy a traversé pendant des années. Il a plus d’empathie », communique un filloniste.

« Tribalisation de la société »

L’histoire est jolie, la réalité est beaucoup plus pragmatique. François Fillon a besoin d’arrimer la droite dure à sa personne. Pour cela, il a poussé un peu plus loin sa sarkozysation. L’après-midi, il a ajouté à son programme l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, une mesure que M. Sarkozy avait défendue pendant la primaire. « Si les nouveaux délinquants mineurs se conduisent comme des adultes délinquants, il convient de les traiter comme tels », a-t-il lancé, mercredi soir, lors d’un meeting à Margny-les-Compiègne (Oise) où il a été beaucoup plus question de sécurité que d’économie. Lors de cette réunion, il a réagi à l’affaire du viol présumé sur Théo L. et aux violences à Bobigny en marge d’une manifestation pacifiste : « Rien ne justifie ces émeutes, rien n’autorise les bandes à s’en prendre aux biens des habitants, rien ne les autorise à agresser les forces de l’ordre. »

Inaudible sur le fond depuis le début de l’affaire désormais accolée à son nom, M. Fillon veut solidifier son socle en axant toutes ses prochaines interventions sur la sécurité, notamment dans une interview à un quotidien. Une technique usée par M. Sarkozy pendant des années. Lors de ce discours, François Fillon a égrainé les autres mesures phares de son programme déjà très ferme – construction de 16 000 places de prison, peines planchers, armement des polices municipales –, et il s’est posé en défenseur des forces de police. « Si je suis élu, la fermeté sera à l’Elysée », a-t-il déclaré tout en assumant des phrases très réductrices que n’aurait pas reniées Nicolas Sarkozy : « Que dans certaines écoles, on s’interpelle suivant ses origines – “gaulois”, “black”, “beur”, “feuj” – (…), c’est une tribalisation de notre société », ou encore « les irresponsables qui tirent à balles réelles sur la police ne sont pas des sauvageons, ce sont des sauvages ».

Humainement, l’ancien premier ministre a beau être un homme très différent de Nicolas Sarkozy, les ennuis judiciaires lui ont fait adopter des comportements très similaires à ceux de l’ancien président de la République ces trois dernières semaines. Comme ce dernier, il n’a pas hésité à mobiliser sa base en se posant en victime des médias et de la justice. A plusieurs reprises, il a tenté de délégitimer le parquet national financier qui foulerait aux pieds, selon lui, la séparation des pouvoirs. En mars 2014, M. Sarkozy avait comparé dans une tribune publiée dans Le Figaro sa mise sur écoute décidée par la justice à des méthodes de la « Stasi ». Le vocabulaire est encore un peu différent mais le fillonisme semble de plus en plus compatible avec le sarkozysme.

Le PNF exclut de classer l’affaire Fillon

Le Parquet national financier (PNF) a exclu, jeudi 16 février, un classement sans suite dans l’affaire mettant en cause François Fillon et son épouse Penelope. Les enquêteurs ont remis au PNF, le 15 février, les premiers résultats de l’enquête préliminaire ouverte notamment pour détournements de fonds publics et abus de biens sociaux. « Les nombreux éléments déjà recueillis ne permettent pas d’envisager, en l’état, un classement sans suite de la procédure », indique le PNF. Le parquet laisse pour l’instant ouverte l’enquête préliminaire, et pourra ensuite soit ouvrir une information judiciaire confiée à un juge d’instruction, soit renvoyer directement l’ancien premier ministre devant le tribunal.