C’est une affaire d’islamophobie ordinaire qui, dans le courant de l’été 2016, avait pris une résonance particulière. La faute à l’attentat de Nice et aux arrêtés anti-burkini, avait alors justifié pêle-mêle Jean-Baptiste Debreux, le restaurateur accusé d’avoir refusé de servir deux femmes voilées au Cénacle, prestigieux restaurant gastronomique de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis).

Dépassé par l’emballement médiatique, et les menaces de mort qui s’en sont suivies, le père de famille a choisi de ne pas s’expliquer devant le tribunal de Bobigny où il était jugé, jeudi 16 février, pour « discrimination dans la fourniture d’un service en raison de l’appartenance à une religion dans un lieu accueillant du public ». Considérant que « les faits étaient caractérisés », la procureure a requis une amende de 5 000 euros, dont 2 500 avec sursis contre l’homme de 65 ans, ainsi que la publication de la décision de justice pendant deux mois.

A quelques détails près, les deux parties s’étaient entendues sur les faits, à savoir que Jean-Baptiste Dubreux avait lancé les hostilités en déclarant aux deux jeunes femmes attablées que, la prochaine fois, elles devraient venir « moins voilées ». La suite de l’échange ne fait pas l’objet de débat : elle a été filmée discrètement, puis mise en ligne. On y entend le restaurateur lancer : « Madame, les terroristes sont musulmans et tous les musulmans sont terroristes (…) Des gens comme vous, j’en veux pas chez moi (…) Alors partez ! »

« Testing »

Sur ces propos sans équivoques, la seule plaignante – son amie a choisi de ne pas déposer plainte –, à la barre, a expliqué avoir éprouvé un « profond sentiment d’humiliation ». « Il y avait beaucoup d’agressivité, je me suis sentie en insécurité, c’était dur », poursuit timidement la jeune femme, silhouette frêle et voile mauve, dont l’avocat du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Me Ouadie Elhamamouchi, précise qu’elle est suivie psychologiquement depuis les faits.

C’est davantage sur le contexte de ce dîner que les juges ont souhaité l’entendre. « Connaissiez-vous l’établissement avant d’y aller ? », « connaissiez-vous M. Dubreux ? », « avez-vous déjà été victime de discrimination ? » Autant de questions louvoyantes pour en résumer une seule : « réalisiez-vous une opération de testing ? » Comprendre : s’agit-il d’un coup monté pour piéger le restaurateur en flagrant délit de discrimination ?

Cette hypothèse, un temps envisagée par les enquêteurs avant d’être écartée, a pourtant pesé sur tout le procès, notamment lors du réquisitoire de la procureure. Celle-ci a considéré que les deux amies, qui avaient réservé le restaurant sur Internet, « réalisaient un testing », avant de rappeler que cette démarche était « parfaitement légale ».

Cette posture du ministère public a suscité l’indignation des deux conseils de la plaignante. Dans sa plaidoirie, Me Christophe Accardo a rappelé que les jeunes femmes s’apprêtaient à passer « une soirée banale », avant d’évoquer « l’islamophobie rampante » de la société, dressant au passage des parallèles douteux avec les années 1930. L’avocate de la défense, Nathalie Barbier, a reconnu « les propos inacceptables » tenus par son client, dont elle réclame la relaxe, le considérant comme « déjà puni » par la vindicte populaire. Les juges rendront leur décision le 16 mars.