En plaçant en tête pour l’élection présidentielle la présidente du Font national (FN), Marine Le Pen, et le fondateur du mouvement En Marche ! Emmanuel Macron, les sondages dessinent l’hypothèse d’un second tour qui rendrait compte d’un clivage structurel renouvelant notre vie collective.

Deux France se profilent dans cette perspective. D’une part, celle de la fermeture, de la sortie de l’Europe et de l’euro, de l’identité nationale exacerbée. D’autre part, celle de l’ouverture au monde et à l’Europe, se tenant à distance de toute stigmatisation des migrants ou des musulmans, et qui semble prendre le contre-pied du FN.

Mais il y a un hic : si le socle électoral de Mme Le Pen est solide, celui de M. Macron pourrait se révéler volatil. Le clivage est asymétrique, et il y a de quoi hésiter à en faire un principe central d’opposition, à partir duquel toute notre vie collective pourrait s’organiser.

Disons-le d’un mot : Emmanuel Macron n’a pas – ou pas encore – su proposer une vision suffisamment structurée pour qu’on puisse à ce jour y voir le représentant social, politique, culturel, économique, intellectuel d’une alternative à Marine Le Pen, face à qui sa position semble fragile.

Le « système » n’a pas dit son dernier mot

Il y a plusieurs explications à cette fragilité. Les unes tiennent à la personnalité du leader d’En marche ! : il a beau se dire ni à droite ni à gauche, il est marqué par son passage au ministère de l’économie et, juste avant, à l’Elysée. D’autres explications tiennent à l’état politique du pays : l’opposition gauche-droite n’est pas défunte. Le « système » dont les antisystèmes proclament la mort n’a pas dit son dernier mot.

A partir de la fin du XIXe siècle, trois conflits ont organisé la vie publique en France – entre dreyfusards républicains et antidreyfusards nationalistes, entre une France centralisatrice et une France soucieuse d’autonomie locale, et entre le patronat et le mouvement ouvrier.

Le FN a les ressources idéologiques pour se situer sur les trois. Il est l’héritier des antidreyfusards, même si sa présidente s’efforce de se démarquer de l’antisémitisme et si elle se dit républicaine et laïque.

Le parti frontiste se construit avec des différences régionales, entre le nord et le sud-est du pays, mais en préconisant un centralisme qui veut supprimer les régions. Et s’il critique le pouvoir national, il vise aussi Bruxelles, qui est à son électorat ce que Washington est à celui de Donald Trump. Enfin, son discours social en fait le champion des déçus de la vie et des perdants de la mondialisation. Ce discours est un mythe, conciliant ce qui, dans la réalité, est inconciliable.

Au-dessus des médiations

En marche ! n’a pas exactement les mêmes ressources. Le discours de M. Macron fonctionne certes à certains égards de la même façon, un peu à la manière dont Ségolène Royal illuminait la pensée de ses soutiens en 2007. Mais il ne peut pas fonctionner sur les mêmes ressorts que celui de Mme Le Pen, car il en appelle à la raison, au travail d’experts peaufinant un programme dont on peut imaginer qu’il sera rationnel et cohérent, annonçant des mesures sociales raisonnables, une modernisation de la société – rien de comparable aux promesses du FN.

Ce discours d’extrême centre est un populisme, où ce n’est pas le leader qui représente le mouvement de la société, mais l’inverse. Il saute au-dessus des médiations, comme celle qu’aurait pu constituer une primaire de gauche, il repose sur le charisme d’un dirigeant supposé en lien direct avec le peuple. Les proclamations antisystème de M. Macron accompagnent une action qui n’a rien d’antisystémique.

Et il s’agit aussi d’un populisme d’en haut. Or il est plus difficile de proposer une pensée mythique à des gens sensibles aux contradictions – ce qui le distingue du populisme d’extrême centre d’en bas, dont l’Italie donne l’exemple avec le Mouvement Cinq étoiles de Beppe Grillo.

S’adosser à la raison et convaincre

En marche ! promet certes une nouvelle configuration politique – c’est pourquoi nombre de ses électeurs potentiels y voient la perspective de faire barrage à Marine Le Pen. Mais ses ressources discursives sont limitées, car il existe des électeurs de droite et de gauche avec lesquels En marche ! ne peut pas rompre alors qu’il escompte la débâcle de ces deux forces.

Emmanuel Macron trouve à s’exprimer sur tous les registres, mais pas avec la même vigueur que le FN. Et il n’aura pas autant que lui la qualité de réduire ses contradictions. Là réside le paradoxe du candidat d’en Marche ! : pour établir la parfaite symétrie avec Marine Le Pen, il lui faut produire lui aussi une synthèse mythique où se dissolvent la gauche et la droite.

Mais pour rassembler, il lui faut aussi s’adosser à la raison et convaincre les électeurs qui n’ont pas rompu avec le système. On attend donc avec impatience la suite, à commencer par le programme du candidat.