LAURENCE ROSSIGNOL INVITEE DU PADREBLOG
Durée : 24:51

La ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, Laurence Rossignol, affirme qu’« il faut lutter contre l’industrie pornographique » et interdire l’accès des mineurs aux sites Internet qui diffusent ces images « avilissantes », dans un entretien vidéo mis en ligne lundi 20 février. La ministre doit présenter le 1er mars un nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants.

« La pornographie est une violence faite aux femmes, c’est une (…) forme d’exploitation sexuelle pour celles qui jouent dans ces films pornographiques », indique la ministre dans cette interview accordée au Padreblog, un site animé par des prêtres catholiques qui inaugure ainsi une série de rencontres avec des personnalités, « y compris extérieures à l’Eglise ou loin de ses idées ». Pour Laurence Rossignol, « l’accès facile à la pornographie » est aussi « une violence faite aux enfants », et elle a évoqué une série de mesures pour restreindre l’accès à ces sites, pour la plupart peu nouvelles et pour certaines difficilement applicables.

Sur les campagnes de prévention :

« Il faut refaire avec les parents la campagne de prévention sur les systèmes parentaux de verrouillage et les contrôles parentaux. Mais j’en connais la limite, parce que maintenant les gamins ont des smartphones. »

Pourquoi c’est discutable

Contrairement à ce que sous-entend Laurence Rossignol, les dispositifs de contrôle parental existent aussi sur smartphone ; tous les principaux opérateurs en proposent, et de nombreuses applications sont disponibles.

En revanche, ces services et logiciels ne sont aucunement infaillibles ; la plupart fonctionnent avec des listes de sites ou de services interdits, non exhaustives, ou des détecteurs de mots-clés, qui peuvent bloquer à mauvais escient des sites ou autoriser des contenus pornographiques. Enfin, comme tous les systèmes de filtrage, ils peuvent partiellement être contournés à condition de savoir comment ils fonctionnent.

Sur les blocages d’accès :

« Il faudra contraindre et fermer l’accès des sites Internet à des gamins. Mais ces sites ne sont pas en France, c’est notre problème. (…) Ce qu’on ne sait pas faire non plus, c’est fermer l’accès à ces sites pour les enfants tout en le laissant accessible pour des adultes. (…) C’est pour cela que je suis favorable à l’idée de [demander un numéro de] carte bleue. La limite de la carte bleue c’est que quand le site n’est [pas soumis à] la réglementation française, ou dans la volonté commune de faire, l’accès se fera par ailleurs, et il faut couper l’accès. »

Pourquoi c’est très compliqué

L’accès des mineurs à la pornographie sur Internet est bien sûr déjà bien encadré dans la loi française, mais l’idée – qui n’est pas nouvelle – de bloquer l’accès des sites aux mineurs est, comme le souligne Laurence Rossignol, en pratique très complexe à mettre en place. Principalement parce que les sites pornographiques sont loin de tous appliquer les standards de la loi française, surtout lorsqu’ils sont hébergés à l’étranger.

Certains pays sont parvenus à bloquer largement l’accès à ces sites en pratiquant une censure de masse, notamment en Chine, où les sites pornographiques sont globalement interdits, y compris pour les adultes. Certains pays démocratiques, dont l’Islande, ont également envisagé d’interdire la pornographie sur Internet, sans que ces projets soient mis en application.

Aux Etats-Unis, comme la plupart des pays européens, l’accès aux contenus pornographiques est interdit aux moins de 18 ans, et les sites établis dans ce pays doivent « vérifier » que leurs visiteurs sont majeurs. En pratique, les sites demandent simplement à leurs visiteurs de confirmer qu’ils sont majeurs.

Plusieurs pays, et notamment les Etats-Unis, ont à la fin des années 1990 tenté sans succès d’imposer aux sites de demander un numéro de carte bancaire. Ces projets ont été vivement combattus par l’industrie de la pornographie, mais aussi par les associations de défense de la vie privée qui estimaient que cela revenait à demander une preuve d’identité.

Sur la liberté d’expression :

« On travaille beaucoup [sur le dossier de la pornographie], et on se heurte, c’est assez amusant d’ailleurs, à la liberté de création, d’expression sur le Net. On voit bien que la liberté d’expression ça sert à tout, et aussi à défendre la pornographie et [son] accès sur le Net. »

Vrai

En l’espèce, Laurence Rossignol a raison : les œuvres pornographiques, quand bien même elles sont interdites aux mineurs, sont elles aussi couvertes par la liberté d’expression. La difficulté à définir précisément ce qui relève de la pornographie, et de nombreux exemples historiques de censure politique effectuée au nom de la moralité ou de la lutte contre la pornographie conduisent généralement les tribunaux et les Parlements à se montrer très prudents sur ces questions.

Aux Etats-Unis, après une bataille juridique de plus de dix ans, et deux passages devant la Cour suprême américaine, des textes allant dans ce sens ont été jugés contraires à l’article de la constitution américaine qui protège la liberté d’expression.

En France, les débats sur ce sujet concernent régulièrement le cinéma : l’association Promouvoir, proche des milieux catholiques intégristes, demande très régulièrement à la justice d’interdire aux moins de 18 ans des films comportant des scènes de sexe. Elle avait ainsi attaqué l’interdiction aux moins de 12 ans du film La Vie d’Adèle (2013), d’Abdellatif Kechiche, sans succès.

En février, le ministère de la culture a d’ailleurs assoupli les règles en vigueur : désormais, les films comportant des scènes de sexe non simulées ne sont plus automatiquement interdits aux moins de 18 ans.