Vladimir Poutine, le président russe. | VASILY MAXIMOV / AFP

Guidé « par les principes universellement reconnus du droit humanitaire international », le Kremlin a adopté, samedi 18 février, un décret qui risque de compliquer sérieusement la résolution du conflit dans l’est de l’Ukraine. En vertu de ce texte signé par Vladimir Poutine, la Russie reconnaît comme valides sur son territoire un certain nombre de documents officiels émis par les Républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk, qui ont déclaré sécession de Kiev au printemps 2014.

La mesure la plus emblématique concerne la reconnaissance des passeports que les deux entités séparatistes ont commencé à distribuer en mars 2016, mais sont aussi concernés les diplômes scolaires ou professionnels, les certificats de naissance et de décès et les documents d’identification des véhicules.

Prudences de langage

Moscou prend bien soin, dans le document, d’éviter de citer nommément les Républiques autoproclamées, mentionnant à la place « certains districts des régions de Donetsk et de Louhansk ». Le Kremlin entend ainsi ne pas déroger aux accords de paix de Minsk, qui prévoient un retour dans le giron ukrainien de ces territoires. Le texte évoque aussi une application « temporaire » des différentes mesures, jusqu’à l’application des accords de Minsk – un horizon qui apparaît aujourd’hui bien hypothétique.

Malgré ces prudences de langage, les mesures annoncées samedi risquent de compliquer encore plus la mise en œuvre d’une solution négociée, en donnant du poids à la stratégie sécessionniste des dirigeants rebelles locaux et en pérennisant la coupure entre Kiev et ses régions orientales.

Cette décision rappelle ainsi les précédents de la Transnistrie, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, régions séparatistes de la Moldavie et de la Géorgie. Avant de mener une politique dite de « passeportisation » (distribution de passeports russes aux populations locales), le Kremlin avait également commencé par reconnaître les documents officiels émis par les autorités séparatistes locales. « Cette politique avait largement contribué au gel de ces conflits », rappelle le chercheur Nicu Popescu, spécialiste des conflits gelés de l’espace post-soviétique. C’est ainsi que l’ont compris les dirigeants rebelles du Donbass. Igor Plotnitski, celui de la « République populaire » de Louhansk, s’est félicité de cette « preuve que [sa] république est un Etat », ajoutant : « Une nouvelle étape a été franchie pour la reconnaissance internationale de la souveraineté de notre république. »

La vice-présidente du Parlement ukrainien, Irina Guerachtchenko, a aussi estimé, sur Facebook, que la décision russe constituait « un premier pas vers une éventuelle reconnaissance » des entités séparatistes et « une façon d’obtenir un gel du conflit ». Le président ukrainien Petro Porochenko, qui rencontrait à Munich le vice-président américain Mike Pence, a aussi critiqué la mesure.

Crispations

Le décret adopté samedi a d’autant plus crispé les autorités de Kiev que celles-ci ont annoncé un plan de « réintégration » de l’Est, qui vise à rétablir les liens avec les territoires perdus du Donbass, notamment en garantissant un certain nombre de droits sociaux, administratifs et économiques à leurs habitants. Dans les faits, la situation sur le terrain est plus complexe, et les extrêmes difficultés de circulation de part et d’autre de la ligne de front ont déjà renforcé les liens informels des habitants du Donbass avec la Russie voisine. Ce plan ne fait par ailleurs pas l’unanimité en Ukraine même, où des nationalistes partisans d’un blocus des régions orientales ont manifesté samedi à Kiev et provoqué des heurts avec la police.

Autre source de tension, le décret russe survient après les sérieux affrontements du début du mois autour de la localité d’Avdiïvka, qui ont causé la mort d’une trentaine de civils et de militaires, et qui se poursuivent de façon sporadique. Une nouvelle trêve, censée prendre effet lundi, a été annoncée samedi par les ministres des affaires étrangères russe et ukrainien.