François Pérol, président du directoire de BPCE, en décembre 2016. | Bloomberg via Getty Images

Pour s’adapter à la révolution numérique qui bouleverse le secteur bancaire, BPCE a choisi la manière forte. Dans le vaste plan de transformation de sa banque de proximité, présenté mardi 21 février, l’établissement mutualiste a décidé de mener plusieurs chantiers de front, en rupture avec les aménagements stratégiques et le saupoudrage d’investissements qu’il avait adoptés jusqu’à présent.

Première mesure radicale : partant du constat que les clients se rendent moins souvent en agence, le groupe va réduire, d’ici à 2020, de plus de 5 % le nombre de ses succursales, aujourd’hui au nombre de 8 000. Il fermera donc plus de 400 agences, principalement par le biais des regroupements en zone urbaine ou périurbaine. Une politique qui aura inévitablement un impact sur l’emploi. Entre 2017 et 2019, un départ sur trois (retraite et turnover) ne sera pas remplacé. Près de 4 000 emplois seront ainsi supprimés sur cette période dans les réseaux Caisse d’Epargne et Banque populaire.

Cette « optimisation » du réseau n’est pas une première en France. La Société générale avait annoncé, fin 2015, son intention de supprimer environ 400 de ses 2 221 agences d’ici à 2020, et BNP Paribas a déjà fermé 236 guichets depuis 2012. Mais BPCE est le premier groupe mutualiste à annoncer un mouvement de cette ampleur. Il adoptera dans la foulée de nouveaux formats d’agences : certaines seront « sans cash » et recentrées sur le conseil et d’autres seront « multisite », avec un directeur unique pour plusieurs points de ventes.

Recourir au traitement des données

En contrepartie, le groupe fait « une promesse de proximité dans un monde digital ». L’objectif est de conserver la fidélité de clients conditionnés par le numérique, habitués aux services immédiatement disponibles, dans un monde où les services financiers ne sont plus l’apanage des banques. La porosité entre l’industrie bancaire et les « fintech » (les start-up de la finance) et la concurrence annoncée des opérateurs de télécommunication ou des géants du numérique comme Google et Amazon obligent les banques à devenir plus exigeantes sur la qualité de la relation qu’elles entretiennent avec leurs clients.

BPCE veut ainsi porter la part de ses ventes à distance de 11 % à 40 % en 2020, en généralisant la souscription digitale (ouverture d’un compte bancaire en quelques minutes, initier la vente d’un crédit immobilier sur le Web…), tout en musclant le conseil aux clients.

La banque a pris la décision d’augmenter de plus de 50 % le nombre de ses conseillers spécialisés (9 000 aujourd’hui), mais aussi de recourir au traitement des données dont elle dispose sur sa clientèle, dans une approche de type « big data ». « Utiliser des données agrégées afin d’en tirer de la valeur ajoutée pour les clients, c’est un savoir-faire que les banques ont jusque-là négligé. Les flux financiers du quotidien sont le reflet de la vie, et en les analysant, les banques ont une capacité à aider les gens à mieux vivre et à aider les entreprises à prendre des décisions. Et si elles ne le font pas, d’autres le feront », estime Thierry Mennesson, responsable du numérique au cabinet Oliver Wyman.

Pour mener à bien ce projet protéiforme, gourmand en investissements, le groupe mutualiste va engager en parallèle un programme d’économies, qui se traduira par une réduction de coûts de 1 milliard d’euros en année pleine à fin 2020. Mais pour y parvenir, BPCE devra auparavant investir 790 millions d’euros sur quatre ans, notamment pour moderniser son informatique. Les fusions entre Banques populaires ou entre Caisses d’épargne permettront également de réaliser des synergies. François Pérol, le président du directoire du groupe, n’a pas la main sur ce dossier puisqu’il revient aux banques régionales d’en décider. Mais il leur a fixé un objectif : qu’il n’y ait plus que 12 Banques populaires (contre 15 aujourd’hui) et 14 Caisses d’épargne (17 aujourd’hui) à l’horizon 2020, leurs frontières devant être « en cohérence avec la nouvelle carte des régions ».

Investir dans des fintech

Pour orchestrer cette mutation numérique, François Pérol a fait venir en septembre 2016 Yves Tyrode, l’ancien directeur général du numérique à la SNCF. Le nouveau « chief digital officer » de BPCE aura toute latitude pour bousculer les habitudes du groupe. Plus de 1 000 collaborateurs ont ainsi été entièrement affectés à sa transformation numérique et un budget de 750 millions d’euros sur quatre ans est prévu pour investir dans des fintech en partenariat avec des fonds de capital-risque, développer des applications clients, explorer les possibilités offertes par le traitement de la « data » et accompagner le développement de la banque numérique et collaborative Fidor. Cette fintech, rachetée à l’été 2016, qui opère aujourd’hui en Allemagne et au Royaume-Uni, sera lancée en France en 2017 et devrait couvrir d’ici à 2020 les principaux marchés européens.

Les autres banques françaises n’ont pas encore présenté des projets aussi aboutis, mais toutes s’attellent au chantier bouillonnant du numérique. Le Crédit Mutuel-CIC mise ainsi sur la solution informatique « cognitive » Watson développée par IBM. Ce logiciel, capable de traiter automatiquement le langage naturel et d’apprendre par l’exemple, peut assister les conseillers bancaires dans le traitement des e-mails envoyés par les clients. Il fait également office d’assistant virtuel, en apportant aux chargés de clientèle des réponses précises aux questions que leur posent leurs clients dans le domaine de l’épargne et de l’assurance de biens, par un dialogue en langage naturel.

Quant à BNP Paribas, il a esquissé début février son programme de transformation numérique, pour lequel l’établissement prévoit d’investir 3 milliards d’euros entre 2017 et 2019, ce qui devrait permettre de générer 3,4 milliards d’euros d’économies sur cette période, puis 2,7 milliards par an à partir de 2020. Le développement du numérique permet en effet de réduire les coûts, la banque pouvant se dispenser d’agences bancaires, et celles-ci pourront demain être pour partie animée par des robots, les fameux « chatbots ». Ces stratégies numériques pourraient entraîner de fortes baisses d’effectifs dans les banques dans les prochaines années. Le syndicat Force ouvrière a estimé le 7 février que jusqu’à 30 000 emplois seraient menacés d’ici quelques années dans le secteur bancaire en France, quand le SNB-CFE-CGC redoute que les départs à la retraite ne suffisent bientôt plus à absorber les réductions de postes.