A l'université Aix-Marseille, en septembre 2014. | BORIS HORVAT / AFP

La laïcité serait-elle à géométrie variable, selon que l’on soit lycéen ou étudiant, et en fonction du lieu où l’on étudie ? Pourquoi une étudiante musulmane peut-elle porter un voile lors d’un cours à l’université de la Sorbonne, alors qu’une autre devra s’en passer si elle fait le choix de poursuivre ses études dans une classe préparatoire, au sein d’un lycée public ? Mercredi 9 décembre, à l’occasion de la Journée de la laïcité, Najat-Vallaud Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, devait rappeler les règles de la laïcité en milieu scolaire.

Celles-ci ont été principalement édictées par la loi du 15 mars 2004, qui ne compte qu’un seul article : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. » Adoptée après plusieurs « affaires » d’élèves musulmanes refusant d’ôter en classe ce qu’on appelle alors le « foulard », ce texte est suivi d’une circulaire : elle précise que les signes interdits sont « le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa, ou une croix de taille manifestement excessive ».

La charte de la laïcité à l’école, publiée à la rentrée 2013 par l’ancien ministre de l’éducation national, Vincent Peillon, complète le dispositif : elle rappelle le principe selon lequel chacun est libre de croire ou de ne pas croire en un dieu, et qu’il jouit d’une liberté d’expression « dans la limite du bon fonctionnement de l’école comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions ». Elle précise aussi que la laïcité doit protéger de « tout prosélytisme et de toute pression », et que les personnels ont « un devoir de stricte neutralité ».

Le voile banni de l’école au lycée…

« Un établissement scolaire est un espace laïc, le lieu du bien commun et de l’intérêt général », précise Jean-Louis Auduc, ancien directeur des études de l’IUFM (Institut de formation des maîtres) de Créteil (Val-de-Marne) et spécialiste du système éducatif français. Sont ainsi concernés par l’interdiction de 2004 à la fois les élèves, les enseignants et les personnels, depuis la maternelle jusqu’au lycée, pourvu qu’ils s’agissent d’établissements publics.

Quant aux établissement privés, confessionnels ou non, ils sont concernés par les points 7 et 12 de la charte de la laïcité. Les élèves ont accès à une « culture commune et partagée » et ils doivent avoir accès « à la diversité des visions du monde ». Qu’elles soient catholiques, juives ou musulmanes, « les écoles confessionnelles doivent partager un programme commun et les règles laïques du vivre-ensemble », rappelle Jean-Louis Auduc. Seule exception pour les élèves d’établissements confessionnels : le droit de porter signes et tenues de leur appartenance religieuse.

La règle qui prévaut jusqu’au bac change-t-elle dès lors que l’on devient étudiant dans le supérieur ? Tout est affaire de lieu. Non, si cet enseignement s’effectue au sein d’un lycée public. Les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles ou des sections de technicien supérieur, qui préparent au BTS, sont eux aussi soumis à la loi de 2004. En revanche, leurs camarades qui auront choisi les bancs de l’université verront les règles de laïcité modifiées.

Obligation de neutralité des enseignants

En 2014, le président de l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne, Philippe Boutry, dut officiellement s’excuser après qu’une chargée de TD eut demandé à une étudiante voilée de quitter son cours. L’enseignante fut convoquée pour un rappel à la loi. Celle-ci stipule que le port du voile, comme celui de toutes tenues vestimentaires qui s’assimileraient à des actes de prosélytisme, est interdit… « aux enseignants du supérieur », rappelle Christian Mestre, doyen de la faculté de droit à l’université de Strasbourg (Bas-Rhin), dans son guide « Laïcité et enseignement supérieur ».

En revanche, la règle ne s’applique pas aux étudiants et le port d’un voile ou autre signe religieux n’y est pas jugé « incompatible avec le principe de laïcité ». En mai, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche a rappelé : « l’interdiction du port du voile ou tout autre signe religieux visible par des étudiants à l’université n’a pas de base légale. » Et cet organe consultatif du ministère de l’enseignement supérieur de marquer, dans une motion, son hostilité à l’adoption d’une loi modifiant cet état de fait.

Le seul bémol tient à des raisons de sécurité ou d’hygiène : les tenues doivent être adaptées aux activités sportives ou aux travaux pratiques (en chimie ou mécanique, par exemple). Enfin, le cas des étudiants des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), qui dépendent des universités, est particulier : s’ils sont libres de leurs tenues vestimentaires lors de leur première année de formation, ils doivent, une fois obtenu le statut de fonctionnaire stagiaire, en seconde année, se conformer à l’obligation de neutralité des enseignants.

Le halo de tolérance qui entoure les universités fait débat et brise les traditionnels clivages politiques. En début d’année, plusieurs cas d’enseignants vacataires refusant de faire cours devant une étudiante voilée ont été signalés. L’UMP a préconisé d’étendre à l’enseignement supérieur la loi de 2004. La socialiste Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes, s’est risquée à affirmer début mars qu’elle n’était « pas favorable » au port du voile à l’université. Manuel Valls l’a immédiatement recadrée, en affirmant qu’une telle mesure n’était pas d’actualité. En 2013, lorsqu’il était ministre de l’intérieur et non chef du gouvernement, ce même Manuel Valls avait pourtant jugé « digne d’intérêt » la proposition du Haut Conseil à l’intégration (HCI) préconisant, notamment, l’interdiction du voile à l’université.