Après son élection au poste de secrétaire générale de l’ONU, Antonio Guterres a voulu prendre langue au téléphone avec Joseph Kabila, président de la République démocratique du Congo (RDC), où exerce la plus ancienne et la plus coûteuse opération de l’ONU, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco). Le chef de l’Etat congolais, dont le mandat a pris fin le 19 décembre 2016, n’a pas décroché. Il avait agi de même avec Ban Ki-moon, quelques mois auparavant, alors que ses propres services avaient organisé la conversation téléphonique. Un téléphone qui sonne dans le vide. L’image suffit à illustrer les rapports diplomatiques qu’entretient la RDC avec la communauté internationale.

Depuis le 12 décembre 2016, les Etats-Unis et l’Europe ont accentué leurs pressions sur le régime en place, publiant le même jour des listes complémentaires de personnalités proches du pouvoir interdites de voyager sur leur sol, leurs avoirs gelés et toute activité économique avec des entreprises occidentales proscrites. Le pouvoir n’est plus même sur la défensive, il semble assiégé sur la scène diplomatique. « Disons que la pression est forte et qu’elle va encore s’accentuer, euphémise Barnabé Kikaya, le conseiller diplomatique de Joseph Kabila. Nous savons que cela va continuer, mais nous essayons de desserrer l’étau. »

Avidité et dispersion

Pour ce faire, l’ambassadeur congolais au Royaume-Uni se démultiplie, entre Londres et Washington, « où nous devons mener des campagnes d’explication », Paris, « la plume des résolutions de l’ONU », Bruxelles et Kinshasa pour porter la bonne parole de la majorité présidentielle. « Une vraie croisade », s’amuse-t-il, tant leur position semble « incomprise ». Et le conseiller présidentiel de plaider la bonne foi du pouvoir, qui s’est engagé dès 2013 sur la voie des négociations avec l’opposition, égrenant les rencontres secrètes avec l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) en 2015 à Ibiza, les pressions de l’ONU, du Vatican, de la Communauté internationale, auxquelles ils se sont peu à peu conformés pour arriver finalement aux négociations et à l’accord du 31 décembre sous l’égide de la Conférence nationale des évêques du Congo (Cenco).

« C’est l’opposition qui ralentit le processus électoral, dénonce le conseiller. Ils ont refusé en 2015 notre loi de recensement [des électeurs pour constituer les listes électorales], ils pinaillent sur les moindres postes. » Pour les observateurs qui ont assisté aux négociations, la majorité présidentielle a surtout joué sur du velours, profitant des querelles de chefs adverses, de leur impréparation juridique, et d’un calendrier qui joue pour le pouvoir. « Nous étions peut-être plus préparés », sourit-il.

Une opposition responsable du glissement du pouvoir en raison de son avidité et de sa dispersion, au grand dam du clan Kabila ? Une belle histoire, que le cabinet de lobbying GR, basé à Washington, est prié de narrer, mandaté pour 875 000 dollars entre juin 2016 et janvier 2017, en vue d’adoucir la position américaine. « Il y avait 38 noms au départ sur la liste des sanctions. Mais après avoir exposé notre position au Sénat, au département d’Etat et au National Security Council, la liste a été réduite », jure le diplomate.

Instabilité inquiétante

De même, les autorités congolaises se sont félicitées du départ de l’ambassadeur américain Tom Perriello « qui se comportait comme un proconsul, en voulant imposer des rendez-vous au chef de l’Etat ». « Désormais la communauté internationale nous comprend mieux. » L’homme en veut pour exemple les discussions menées lors du sommet France-Afrique à Bamako, sommet où Joseph Kabila a annulé sa venue au dernier moment. « Nous avons discuté avec M. Ayrault et M. Hollande de tous les sujets, le ton était apaisé. M. Ayrault était même gêné de ses déclarations passées et M. Hollande a transmis ses félicitations pour la désescalade de la tension. Vous savez, les Français nous aident beaucoup dans le domaine sécuritaire. »

Une vision de la situation un rien idyllique. « Il faut que les Congolais arrêtent d’expliquer que tout va bien. Les discussions avec le président, c’était une poignée de main », tonne un diplomate du département Afrique du Quai d’Orsay. « Notre ligne est claire, qu’ils arrêtent de saper l’avancée du processus électoral et qu’ils appliquent l’accord du 31 décembre, nomment un nouveau gouvernement et entament la décrispation. Mais nous savons que Kabila va continuer à jouer ses trois cartes : la division de l’opposition, le calendrier électoral, l’instabilité dans l’est du pays et au Kasaï. » Trois cartes que le pouvoir manie avec dextérité.

Le décès d’Etienne Tshisekedi à Bruxelles en janvier fragilise une opposition déjà divisée et pourrait renforcer la majorité présidentielle. La disparition de l’opposant historique a interrompu les négociations sur la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre, au terme duquel le « Vieux » devait prendre la tête d’un Conseil national de suivi. Le nom de son successeur ne fait pas encore consensus au sein de l’opposition. Et les conditions de son enterrement à Kinshasa font l’objet de longues tractations, que les partisans du chef de l’Etat semblent vouloir éterniser. De longues semaines d’atermoiement dont l’échéance n’est pas encore fixée, repoussant d’autant la tenue d’élections. La manœuvre a également permis de passer la date du 16 février sans encombre. Les services de sécurité craignaient qu’une marche commémorative ne vienne célébrer le souvenir des « martyrs de la démocratie », ces chrétiens qui, en 1992, avaient pacifiquement manifesté avant d’être tués par la police de Mobutu. La prochaine échéance à passer pour le clan présidentiel est fixée au 15 mars, où l’Assemblée nationale doit débuter sa nouvelle session parlementaire.

Entreprise de pacification

D’ici là, le président Kabila a promis de s’employer à lutter contre les exactions dans l’est du pays et au Kasaï (centre), où les morts se comptent par centaines depuis le début de l’année, dans des affrontements aux ressorts complexes, et où l’armée régulière est soupçonnée de massacres depuis la diffusion de plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux. Cette entreprise de pacification a plusieurs fois servi d’alibi pour ne pas recevoir les évêques de la Cenco, au cœur du mois de décembre et de janvier.

Cette instabilité qui inquiète les voisins de la RDC, notamment l’Angola frontalier au sud, qui a retiré ses troupes. Un signe de défiance. « Ce n’étaient que des instructeurs, louvoie Kikaya, qui avaient fini leur mission. » Luanda a néanmoins fait peser tout son poids pour que le clan Kabila participe aux négociations menées par la Cenco. Et, à l’instar des chancelleries européennes, croit peu au discours des officiels congolais, qui assurent que « le président n’attend qu’une chose, pouvoir quitter le pouvoir en paix ». Un président dont le téléphone sonne dans le vide.